Marchands de rien

05.02.2015
Gault-Millau

Gault et Millau, les fondateurs de l’influent guide gastronomique, donnèrent à diptyque le bienveillant surnom de “marchands de rien”. Pendant des décennies, la boutique diptyque fut un endroit absolument original. Et peut-être le premier bazar chic. Le goût recherché, curieux, instinctif de ses trois fondateurs les conduit à dénicher des productions anciennes ou contemporaines d’artisanats du monde entier. C’était une mise en scène toujours renouvelée d’objets, surtout de jouets, dans un savant désordre de matières, de formes, de couleurs, de fonctions et d’arômes exotiques. Les trois artistes y associèrent leurs créations, tissus d’abord puis bougies et eaux de toilette. L’atmosphère de la petite boutique diptyque était euphorisante. Elle réjouissait ses clients et visiteurs curieux. Dès l’origine, diptyque fut une étrange résidence de correspondances. Cadeaux pour tous âges, objets de décorations, autant de créations acquises ou réinventées dont la seule utilité n’était jamais que d’enchanter. Ce qui importait était la vie de la boutique, les rencontres, les habitués, les surprises. L’ambiance était non conformiste, hors des sentiers du luxe et pourtant célébrant tout autant la noblesse de l’artisanat et le goût de la belle œuvre mais encore l’humour anglais, le détournement d’objets et l’intuition paradoxale du juste et du décalé. Le 34 boulevard Saint Germain fut un capharnaüm confidentiel.

Une liste exhaustive serait impensable. Il faut pourtant vous donner une idée… Les provenances d’abord : d’Angleterre, d’Irlande et d’Ecosse, Desmond Knox-Leet descendait d’une famille écossaise émigrée en Irlande. Du bassin méditerranéen. Du Mexique. Enfin d’Asie… Yves Coueslant avait grandi au Vietnam. Desmond, Yves et Christiane Gautrot étaient des voyageurs. Ils aimaient connaître, sentir, écouter et regarder les mille façons de vivre. Au fil de leurs pas, ils chinaient des objets, s’intéressaient aux manières de faire et nouaient des contacts.

La boutique fut un carnaval des jouets du monde entier. Cerfs-volants japonais, insectes en bois, oiseaux appelants que Christiane repeignait, dragons articulés, moineaux de Pologne, chats acrobates… Les théâtres Pollock’s dont nous reparlerons, exemple à l’appui ! Des Dutch dolls, ces petites poupées de bois d’Angleterre, puis celles en chiffon à confectionner soi-même.

Des puzzles en bois et beaucoup d’images, de vieilles cartes postales, des reproductions des préraphaélites Millais, Rossetti, Burne-Jones… Des copies de gravures de William Morris, d’Arthur Rackham, de dessins d’Aubrey Beardsley ou de Kate Greenaway.

Avons-nous mentionné les masques hindous, les bouilloires de grand-mère ? Des encens aux parfums rares, la vaisselle de Pologne grâce à leur amie Anita Civelli qui travaillait avec la grande décoratrice André Putman ? Les céramiques soufflées et taillées selon l’ancienne tradition de Lorraine par le verrier Rochère ? La porcelaine de Limoges ? Les faïences anglaises évidemment ? Ils lancent en exclusivité les créations de la jeune nièce débutante d’amis irlandais, Laura Ashley… Car il y eut aussi des linges gaufrés d’Ecosse et damassés d’Irlande, les laines du pays d’Aran, les plaids du Shetland et les fameuses couvertures snowdon du Pays de Galles qui eurent grand succès. Des chapeaux de chez Loch, le chapelier des lords ! Des boutons de manchette en bois de santal… Christiane créa des bijoux façon années folles, en pâte de verre de couleurs dont elle concevait aussi chaînes et sautoirs : bien plus que des bijoux fantaisies… Un beau jour, diptyque vendit même une collection rarissime de robes de haute couture des années 30, de Jeanne Lanvin et de Paul Poiret. Est-ce là tout ? Mais non. Cela changeait tout le temps.

A l’unisson de ce paradis hétéroclite, la bande-son mélangeait ballets, musique sacrée et rock des sixties. diptyque n’était pas un repère de nostalgie des enfances d’avant l’ère moderne ni un lieu de mémoire C’était l’antre des correspondances insolites, un lieu d’étonnement joyeux.

Et nous n’avons toujours pas mentionné les fragrances… diptyque proposait en exclusivité la plus fine sélection de la parfumerie anglaise et confectionnait des pomanders. Cela fera l’objet d’une publication à part entière. Car la passion des fondateurs pour les senteurs deviendra peu à peu le corps de leurs créations et reste l’âme vivante de diptyque aujourd’hui.