Les perruques parfumées

16.02.2018
Femme se faisant coiffer (biscuit)

Femme se faisant coiffer (biscuit)

Les perruques parfumées, par Annick Le Guérer

Le XVIIe siècle est marqué par une évolution considérable de la mode touchant la chevelure. Sous le règne du roi Louis XIII, en effet, on a vu se généraliser la mode des perruques qui ne sont plus seulement un moyen de remédier aux déficits capillaires, mais deviennent, à la ville comme à la cour, une pièce essentielle de l’habillement et dont la poudre est le complément indispensable.

 Aucune femme, aucun homme ne peut prétendre à l’élégance  si  sa perruque n’est poudrée et parfumée. L’absence de poudre devient signe de deuil et même les religieuses se présentent parfois « poudrées comme des meuniers ».

Il se fait une consommation considérable de poudre parfumée. On trouve évidemment des produits de toutes qualités et à tous les prix. Une bonne poudre doit à la fois être fine et bien s’attacher aux perruques « car il est fort désagréable de voir, au moindre mouvement de tête, tomber la poudre sur son habit ».

Les gantiers-parfumeurs qui dominent désormais le marché des parfums ne s’y trompent pas et sont très attentifs à cette mode. Le 4 juillet 1689, ils obtiennent le droit de se qualifier également de poudriers. Cette consécration est une victoire sur les amidonniers, barbiers et merciers qui ambitionnaient aussi  cette reconnaissance.

Il est significatif que, dans l’ouvrage de Simon Barbe « Le Parfumeur Royal », figure un chapitre très important intitulé : «  Traité des poudres pour les cheveux ».

La base de ces poudres est l’amidon choisi le plus blanc et le plus sec possible, auquel s’ajoutent souvent des os calcinés et écrasés de seiche, de bœuf ou de mouton.

Plusieurs teintes sont disponibles : la rouge, la blonde et la grise. Cette dernière, la plus utilisée, donne une nuance argentée, d’où l’expression «  poudré à frimas ».

Le parfumage de la poudre est très varié. Les fleurs les plus employées sont le jasmin, la rose, la jacinthe, la jonquille, la fleur d’oranger. Viennent ensuite les poudres à l’ambrette, à la frangipane, à l’iris. Ces notes florales sont parfois renforcées de musc ou de civette ou  d’ambre.  La poudre maritime réunit os de seiche, encens, myrrhe, santal, benjoin, storax, clou de girofle,. Celle de polvil : souchet, calamus, girofle, cannelle, avec une dominante mousse de chêne. L’une des plus réputées est la poudre à la Maréchale, ainsi baptisée en l’honneur de la Maréchale d’Aumont qui passe pour l’avoir inventée. Elle est composée de très nombreux ingrédients finement broyés, principalement l’iris de Florence, la rose, la coriandre, le souchet, le clou de girofle.

Au cours du XVIIIe siècle, la mode capillaire s’exaspère et la poudre sert aussi à consolider d’impressionnants édifices qui produisent « une saleté abominable sur le front, le cou et les épaules ». Crêpées, graissées, poudrées, les coiffures féminines s’élèvent au-dessus du front en formant des sortes de « fortifications »  à angles droits, saillants et rentrants. De grosses boules maintenues par des broches de fer, descendent de chaque côté complétées à l’arrière par un chignon volumineux.

Les coiffeurs et les perruquiers font preuve d’une inventivité inépuisable dans leurs créations : « à la corne d’abondance » , « à la colombe » , « au chien couchant » , « au cerf-volant » , « au hérisson ».

Les échafaudages de gaze, de coussins, de fleurs et de plumes atteignent une telle hauteur que les femmes ne trouvent plus de voitures assez hautes pour les accueillir. Elles sont obligées de  pencher la tête par la portière ou de s’agenouiller pour protéger l’imposant édifice qui les surcharge.

Le poudrage de la perruque s’apparente à un exercice sportif ! Le coiffeur-perruquier, muni d’une énorme houppe de soie, lance de toutes ses forces la poudre en l’air. Son client, enveloppé d’un long peignoir,  le visage fourré dans un cornet de carton pour ne pas être aveuglé, se place de façon à la recevoir sur la tête lorsqu’elle retombe du plafond. Pour empêcher la poudre d’envahir les appartements, l’opération a lieu parfois sur le palier et profite aux malheureux visiteurs qui ont l’imprudence de gravir l’escalier au mauvais moment.

La poudre fait partie du costume militaire et résiste même à la Révolution. Robespierre ne sortira  jamais de chez lui sans être poudré et ce n’est qu’après sa campagne d’Italie que Bonaparte y renonce.

 

Annick Le Guérer, anthropologue, historienne, écrivain de l’odorat et du parfum, a publié notamment: Les pouvoirs de l’odeur (François Bourin 1988, Odile Jacob 2017), L’odorat, un sens en devenir (L’Harmattan, 2003), Trois histoires de nez aux origines de la psychanalyse (L’Harmattan 1999), Le parfum des origines à nos jours (Odile Jacob 2005), Histoire en parfums (Le Garde Temps 1999), Sur les routes de l’encens (Le Garde Temps 2001), Quand le parfum portait remède (Le Garde Temps 2009), L’osmothèque, si le parfum m’était conté (Le Garde Temps 2010), 100 000 ans de beauté (en collaboration, Gallimard 2011), Givaudan, une histoire séculaire dans Une Odyssée des arômes et des parfums (La Martinière 2016).