Les frères Coen à Cannes

11.05.2015
© Alison Cohen Rosa / Universal Pictures

© Alison Cohen Rosa / Universal Pictures

Alors qu’ils entament la troisième décennie d’une carrière très prolifique, Joel et Ethan Coen ont été conviés par Gilles Jacob à devenir les premiers co-présidents du jury lors du 68e Festival de Cannes dont diptyque est partenaire. Habitués à gravir les marches de la Croisette depuis leur second film Arizona Jr, montré hors compétition en 1987, le choix des deux frères semble aujourd’hui une évidence. Michel Ciment et Hubert Niogret de la revue Positif avaient vu juste, car à peine quatre ans plus tard, leur quatrième film, l’énigmatique Barton Fink (1991), obtenait la consécration suprême, une Palme d’Or qui allait marquer le début d’une longue histoire d’amour avec la France. Le Sundance Festival lancé par Robert Redford en 1984 leur avait bien desservi un Grand Prix du Jury pour leur premier long métrage Sang pour Sang (1985), mais la relation douce-amère des Coen avec Hollywood n’eut rien de comparable avec leur succès immédiat outre-atlantique. Comment expliquer une telle adhésion auprès des cinéphiles français ?

La France est historiquement liée au 7e art, depuis ses origines avec les frères Lumière, à la Nouvelle Vague qui eut un grand impact sur les réalisateurs Américains du Nouvel Hollywood, son avatar américain dans les années 60-70. La première phase de leur carrière (1984-1994) fut grandement influencée par le Nouvel Hollywood. Refusant fermement d’obéir aux standards imposés par les grands studios, leurs films sont alors des manifestes contre la standardisation du cinéma hollywoodien des années 80-90. Un budget dérisoire, des effets spéciaux « maison », une importance inhabituelle conférée aux seconds rôles, une distribution excluant les têtes d’affiches, un regard cynique mais jamais moralisateur sur la société américaine, son histoire et ses folklores, une grande cinéphilie et une déconstruction des codes des genres, demeurent les traits définitoires de la « Coen touch », ce cinéma hors normes que les critiques français ont très vite estampillé cinéma d’auteur.

Après une collaboration difficile avec la Fox qui se solde aux Etats-Unis par l’échec de leur premier film commercial, Le grand saut (1994), le tandem n’acceptera plus que quiconque s’immisce entre eux et leurs films. Dès lors, ils se servent d’Hollywood à leur convenance, pour réaliser des films grand public aux castings prestigieux, tout en retournant régulièrement à des films confidentiels à budgets plus modestes, ce qui leur confère un statut unique de réalisateurs « intermédiaires », réconciliant cinéma populaire et cinéma d’auteur. C’est certainement ce qui fait le succès d’Ethan et Joel Coen à la fois à Cannes et aux Oscars.

 

 Julie Assouly, auteur de “L’Amérique des frères Coen” (CNRS, editions, 2012)