Les constellations

15.12.2017
Constellation du Taureau (photographie © Akira Fujii)

Constellation du Taureau (photographie © Akira Fujii)

Les constellations sont des graffiti qui recouvrent la voute céleste scrutée depuis la terre. Les figures dessinées par ces fils affabulés qui amarrent des étoiles entre elles tiennent du bestiaire et de la brocante, avec quelques héros, quelques métiers, mais toujours aucune femme…

Ces constellations forment un pavement symbolique du ciel nocturne. Il permet de regrouper les étoiles en zones, comme l’étymologie latine l’indique (‘cum’, ensemble, ‘stella’, étoile). Au sein de chacune scintille ce dessin dont les points sont ses étoiles les plus étincelantes, qui aide à la repérer et l’identifie d’un nom. Mais la constellation assemble toutes les étoiles qui se trouvent dans le périmètre plus ou moins délimité par ce dessin. Aussi le voisinage visuel d’étoiles n’est-il qu’une illusion, celles-ci pouvant être particulièrement éloignées en distance comme en durée d’existence. Simplement se trouvent-elles dans la même direction pour l’observateur qui en reçoit leur lointaine et énigmatique lumière.

La projection de signes sur le grand tableau noir de l’univers piqueté d’étincelles est vieille comme si ce n’est le monde, du moins l’humanité. En Arménie, des figures du Cygne, du Taureau et du Lion concordant avec des configurations d’étoiles ont été discernées sur des dalles datant du 4ème millénaire avant J.C. A la même époque, la civilisation mésopotamienne avait très certainement identifié ses constellations, bientôt reprises par les Grecs.
La tradition accorde au poète grec Aratos de Soles, du 3ème siècle avant notre ère, d’avoir le premier pensé la catastérisation (d’aster en grec : étoile), qui désigne la métamorphose d’une âme en un astre ou plusieurs assemblés. Le premier, il attribua des noms puisés dans les légendes aux constellations. Cinq siècles plus tard, Ptolémée, astronome grec d’Egypte, reprend l’héritage d’Hipparque (2ème siècle av. J.C.) qui avait recensé plus d’un millier d’étoiles, qu’il répartit en 48 constellations. Hormis l’une d’elles depuis subdivisée, elles font encore aujourd’hui partie des 88 constellations officielles. Les grands astronomes perses et arabes développèrent et transmirent ce savoir antique à l’occident, notamment grâce à Al Sufi qui les cartographia magnifiquement à la fin du premier millénaire.

Mais seules les constellations de l’hémisphère boréal avaient alors été repérées. Les astronomes observaient le ciel depuis des latitudes au nord de l’équateur.

Les constellations qui seraient identifiées plus tard seraient celles du ciel austral. On le doit en grande part aux relevés d’observation des navigateurs Pieter Dirkszoon Keyser et Frederick de Houtman qui le cartographièrent à la fin du XVIe siècle. On attribue pour l’essentiel aux astronomes Bayer, Hévélius et Jakob Bartsch au  XVIIe siècle, puis Nicolas-Louis de Lacaille au suivant d’avoir achevé cette carte céleste. C’est à ce dernier que l’on doit des désignations plus terre à terre, parmi lesquelles le Burin, la Table, la Règle, sans oublier la Machine Pneumatique. L’époque délimite l’horizon de ses légendes. La brocante céleste, c’est lui. Il n’en voyait pas moins loin.

A force, les tags constellés ont fini par se marcher dessus, ça n’est pourtant pas la place qui manque. L’Union Astronomique Internationale y met bon ordre en 1922. D’abord en adoptant les 88 constellations officielles puis, grâce aux travaux de l’astronome belge Eugène Joseph Delporte, en les circonscrivant en arcs de méridiens et parallèles, avec des coordonnées d’ascension droite et de déclinaison (lesquelles évoluent en raison de la précession des équinoxes). Ces démarcations et une nomenclature arrêtée permettent d’attribuer chaque étoile connue à une seule constellation, dont les plus brillantes qui dessinent une forme ne sont que le repère. Certaines étoiles, prenez Sirrah, se croyaient tout permis, avec un pied dans Pégase et l’autre dans Andromède. La plaisanterie n’avait que trop duré. Et ceci quand bien même certaines étoiles, clairement perçues d’ici-bas, n’existent plus depuis belle lurette, leur lumière voyageant à notre encontre longtemps après qu’elles se sont fait sauter le caisson.

Les constellations d’étoiles divergent des constellations zodiacales qui prennent en compte les planètes au sein du système solaire. Pourtant, leur objet n’en demeure pas moins proche : il permet à l’être humain de mesurer l’incommensurable, de se projeter dans le cosmos, de faire correspondre sa finitude avec l’infini, d’habiter l’univers en concevant des liens essentiels qui l’unissent à ce Tout, et d’abord par l’entremise de ses songes et légendes qui y tournoient. Ce faisant, ces constellations auront aussi permis à bien des marins pendant des siècles de ne pas se noyer et d’arriver à bon port.