Les arbres de Mondrian

28.12.2015
Pommier en fleurs, 1912 (Piet Mondrian, 1872-1944)

Pommier en fleurs, 1912 (Piet Mondrian, 1872-1944)

Il faut aller au Gemeentemuseum de la Haye, fleuron de l’architecture moderne tout en briques jaunes et lignes géométriques, construit au tournant des années trente par H. P. Berlage, pour prendre la mesure de ce que Piet Mondrian a apporté à l’art du XXe siècle. Le musée abrite la plus grande collection d’œuvres de l’artiste, de ses débuts académiques à son ultime tableau, Victory Boogie-Woogie. S’y rendre préférablement en hiver, lorsque les feuillus décharnés accompagnent le visiteur sur son trajet de la gare au musée, le préparant à ce qui aura motivé son voyage jusqu’ici – une période bien spécifique, décisive, dans l’œuvre du maître hollandais : les arbres.

Il y a en effet dans l’histoire de l’art des dates charnières, des points de bascule qui déclenchent des transitions irréversibles dans la façon de concevoir la peinture. Les œuvres que réalise Piet Mondrian entre 1908 et 1912 sont de celles-ci.

1909, L’arbre rouge. Le tronc est noueux, le ramage dense, montant vers le ciel. Le sujet est parfaitement identifiable mais la palette irréelle, intense La couleur paraît s’être affranchie de l’objet : rouge écarlate de l’arbre contre bleu lapis-lazuli du ciel. Peinture en touches courtes et rapprochées. Mondrian vient de découvrir les tableaux fauves de van Dongen et, surtout, l’œuvre de van Gogh. Sa peinture s’en ressent.

1911, L’arbre gris. Au Moderne Kunstkring qu’il a cofondé l’année précédente, Mondrian voit pour la première fois l’art cubiste venu de France. Choc absolu. Après la couleur, l’artiste va donc s’attaquer à la forme. L’arbre alors se décompose en un réseau de courbes majoritairement verticales et horizontales, tandis que les tonalités éclatantes font place aux déclinaisons de gris qu’affectionnent Braque et Picasso. L’année suivante, et jusqu’à l’été 1914, Mondrian sera à Paris.

1912, Pommier en fleurs. Les teintes sont désormais nacrées : aplats délicats de mauve, d’or et de vert émeraude. Plus d’horizon à présent, seules des arabesques dessinent dans l’espace des formes qui semblent flotter en apesanteur. Plus guère de traces de tronc, de branches, ni même de ces fleurs qu’évoque le titre du tableau. Comme déraciné de sa réalité première, l’arbre s’est mué en signe indépendant, en vibration autonome : le référent n’est plus l’objet peint mais la structure abstraite de la composition.

Quatre années se sont écoulées depuis les premiers arbres. Quatre années qui ont vu Piet Mondrian s’imprégner des influences multiples des avant-gardes de son temps pour développer in fine un langage plastique entièrement nouveau, posant ainsi l’une des premières pierres sur le chemin de l’art abstrait.

 

Paul Nyzam est spécialiste en art contemporain chez Christie’s. Ses participations éditoriales précieuses à memento ont considéré des thématiques charnières dans les œuvres de Yves Klein, Simon Hantai et Pierre Soulages.