L’encapsulation d’une mémoire

08.09.2017
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Le parfum 34 boulevard saint germain fut une mise en parfum de la boutique historique de diptyque. Son espace flamboyait d’invisibles effluves en apesanteur. C’était son histoire consignée en alluvions immatérielles. La mise en flacon de cette idée romanesque fut une gageure technologique.

C’était en 2007 et la ronde d’idées allait bon train : diptyque fêterait sa cinquantième année en 2011, un parfum devait sceller ce bel anniversaire. Née d’une rêverie, l’idée d’un parfum de la boutique relevait de la chimère. Celle-ci dévoila vite son vrai visage : un défi.
L’heureux nez qui le releva fut Olivier Pescheux, mais l’homme de la situation qui rendit ce pari possible fut le docteur Roman Kaiser. Ce chimiste reconnu, du département de recherche du groupe Givaudan, y avait parfait la technique dite du « head space », destinée à l’encapsulation d’odeurs volatiles, subtiles et fugaces, particulièrement celles de fleurs rares et rudes d’accès. Une cloche de verre est disposée autour de la plante en pied, dans le volume de laquelle un gaz neutre recueille les molécules odorantes qui se déposent ensuite dans un polymère gras (sorte d’équivalent technologique de l’enfleurage à froid d’antan). L’opération est longue. Par suite, les données recueillies font l’objet de séquençages de haute précision par la chromatographie à phase gazeuse (dissociant les molécules échantillonnées), puis par la spectroscopie de masse (calibrant les proportions des chaque molécule de l’extraction). Ces opérations permettent la définition d’une identité moléculaire faisant ensuite l’objet d’une synthétisation.

Le « head space » avait conduit ce chasseur d’effluves de Roman Kaiser en maints endroits d’accès malaisés en vue d’espèces florales en voie d’extinction. Amazonie, Papouasie, Alpes en haute altitude, le scientifique était roué aux « scent treks », ces longues expéditions de traque de senteurs. L’encapsulation de la boutique de diptyque était un enjeu olfactif totalement nouveau. L’accès se révéla toutefois sans difficulté. Mais comment mettre la boutique sous cloche ? Le lieu est comme un foyer de parfums flottants aux accumulations moléculaires ondoyantes et versatiles en nuances incessantes. Il fallut procéder à plusieurs encapsulations, par recoins et par familles d’odeurs. C’était en 2008. Cette captation faite puis synthétisée, Kaizer passa la main au nez : Olivier  Pescheux œuvra deux années pour transformer cette matière première incomparable en un parfum qui exprime une personnalité, une manière de faire, une histoire, celle d’une maison : diptyque.

Mise en abyme savante née d’une pensée fantaisiste, le parfum 34 boulevard saint germain fut mis en boutique à cette adresse – et chez ses consœurs, en 2011, cinquantième année de l’air diptyque ainsi mis en boite par l’entremise d’une cloche qui se voyait un avenir de flacon. Et voilà que l’odeur d’une adresse et d’une maison pouvait être portée et vécue par-delà le monde, par des êtres, et déclinée en autant de personnalités. Cette histoire d’une histoire offerte à l’histoire de toutes et tous a tout l’air d’un conte, mais prodigue un parfum de vérité.

Nota Bene : Roman Kaiser a obtenu le prix Roche de la recherche en 1988. Il est docteur Honoris Causa en sciences naturelles de l’ETH de Zurich depuis 1995. Il associe autant qu’il le peut les communautés locales à son travail, et redirige une part des budgets des sponsors à leurs profits. Il a publié de nombreux articles scientifiques dans des revues spécialistes et écrit des livres pour le grand public, sur les orchidées, sur les espèces en voie de disparition et sur des odeurs notoires de la planète dans leurs rapports avec la biologie, l’histoire et la culture.