Le sceau sensé

20.02.2017
Portrait de René Descartes (1596-1650) par Jan Baptist Weenix (162-1659/61), Utrecht Centraal Museum.

Portrait de René Descartes (1596-1650) par Jan Baptist Weenix (162-1659/61), Utrecht Centraal Museum.

A n’en pas douter, ce qu’on a coutume d’appeler l’argument de la cire de Descartes est une séquence de philosophie sensationnelle. D’ailleurs très fameuse dans l’histoire de la philosophie. Toutes les certitudes mal fondées y fondent. Mais de cette liquidation, l’esprit fait son miel.

Dans Les Méditations métaphysiques, parues en 1641, René Descartes (1596-1650) soumet à un doute méthodique toutes ses anciennes opinions, ses croyances et ses sensations dans l’intention philosophique d’asseoir toute connaissance sur un fondement indubitable. Dans la deuxième méditation, il expose l’exemple d’un morceau de cire soumis à la chaleur pour démontrer la fausseté de l’assurance acquise par les sens corporels.

« Prenons par exemple ce morceau de cire qui vient d’être tiré de la ruche : il n’a pas encore perdu la douceur du miel qu’il contenait, il retient encore quelque chose de l’odeur des fleurs dont il a été recueilli ; sa couleur, sa figure, sa grandeur, sont apparentes ; il est dur, il est froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son […] Mais voici que, cependant que je parle, on l’approche du feu : ce qui y restait de saveur s’exhale, l’odeur s’évanouit, sa couleur change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il s’échauffe, à peine le peut-on toucher, et quoiqu’on le frappe, il ne rendra plus aucun son. » Or il s’agit bien de la même cire. Et ce qui advient ici à la cire advient à tout : chair, terre, plantes et pierres, tout à des échelles temporelles diverses s’érode, se corrompt, se décompose et se recompose. Rien de ce que les sens perçoivent n’est fiable puisque les qualités qu’ils reçoivent sont instables, labiles et provisoires. Ce que les sens discernent est une conception de l’imagination, qui présente des propriétés inconstantes et incertaines.

Mais comme en surplomb de cette perception qui informe l’imagination, et qui constitue le sens commun, il y a la conception de l’esprit. Celle-ci, informée de l’inconstance des choses perceptibles est au fait d’autres qualités : qu’en l’état la cire est « quelque chose d’étendu, de flexible et de muable. » Et ceci, seul  l’entendement de l’esprit peut le déduire. L’intellection seule pénètre la réalité.

L’exemple de la cire, le modèle en somme, en ce qu’il se modèle aux conditions qui l’altèrent, est pédagogique grâce à sa plasticité. Par extension, il a valeur universelle pour toute matière, et invalide ce faisant l’authenticité des formes sensibles. Celles-ci sont illusoires. Il y a bien sûr derrière cet exemple apparemment simple des implications savantes, le philosophe s’adressant à Aristote, qui avait aussi pris exemple de la malléabilité de la cire pour en conclure inversement d’une ressemblance inversée mais fidèle de la réalité entre celui qui ressent et ce qui est senti, tel un objet qui enfoncé dans la cire y dépose sa trace en creux. Il y a aussi des implications plus brûlantes encore avec la toute puissante pensée scolastique de l’époque, et la conception de Dieu.

Pour l’heure, flaque de cire à l’appui, il demeure que ce que nous figure le visage des choses s’entête à se payer notre tête, faute de savoir y voir clair de façon sensée, en faisant fi des sens.

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