Petite histoire du parfum à l’ère moderne (I)

10.07.2017
Flacon de parfum, René Lalique (années 20)

Flacon de parfum, René Lalique (années 20)

Le parfum moderne naît grâce aux premières molécules de synthèse. A la Belle Epoque, sa belle idylle avec la haute couture, une instance huppée en repli du monde populaire, acquerra au cours du siècle un statut de couple à la stature industrielle donnant le pli au plus grand nombre.

L’évolution technique d’extraction d’une senteur naturelle conditionne le parfum des temps modernes. Aux méthodes naturelles connues, distillation et enfleurage, s’ajoutent à la fin du XIXe siècle la synthèse de molécules naturelles (la première fut la coumarine, présente dans la fève de tonka en 1868) et l’extraction par solvants volatils. Ces méthodes permettent aux parfumeurs de composer de nouvelles combinaisons de senteurs, alors que les parfums étaient la plupart soliflores (une note unique). S’il n’est pas le tout premier, le parfum moderne naît avec Jicky, de Guerlain, en 1889, alliant senteurs naturelles et synthétiques en structurant son accord en trois notes olfactives. Dorénavant, les modes de création de parfum se joueront au sein de la gamme tonale des trois notes de tête (agrumes et aromates), de cœur (fleuries, vertes, fruitées, épicées), et de fond (boisées, balsamiques). Or cette complexité nouvelle n’autorise plus de transvasements de parfum d’un contenant l’autre : il doit demeurer en un récipient qui lui sera propre. L’alliance du jus à son flacon est scellée. Enfin advient le détournement du vaporisateur, inventé en 1870 par le gastronome Brillat-Savarin afin d’assaisonner ses mets, pour épandre une fragrance.

Deux citations, côté étoffe et côté effluve, annoncent la couleur. L’une de la grande couturière Gabrielle « Coco » Chanel : «Il n’y a pas d’élégance possible sans parfum. C’est l’invisible, ultime et inoubliable accessoire.» L’autre du grand industriel François Coty : « Donnez à une femme le meilleur produit que vous puissiez préparer, présentez-le dans un flacon parfait d’une belle simplicité, mais d’un goût impeccable, faites le payer un prix raisonnable, et ce sera la naissance d’un grand commerce tel que le monde n’en a jamais vu. » A la veille de la deuxième guerre mondiale, ce commerce a fait de lui l’une des premières fortunes mondiales. Ce dernier est le grand initiateur du parfum moderne, anticipant les techniques de vente, de conditionnement et d’emballage, de publicité, les associations prestigieuses (au verrier René Lalique, au décorateur Léon Bakst), et l’auteur dès 1918 des petits formats de flacons que les soldats américains rapporteraient en cadeau. Il est aussi l’inventeur du jus Chypre, dont la structure complexe et l’étagement olfactif distingué à bergamote en tête, floral au cœur puis patchouli et mousse boisée en fond, puisant dans des notes de synthèses, a fondé une descendance parfumée avec la famille des « chyprés ».

Technique, époque, conjoncture économique, convergence quantifiable des goûts de groupes sociaux, concentration des pratiques de l’offre, la mode et le parfum se coalisent sans se douter que ce supplément qu’est encore le parfum à la mode à l’orée de leur association s’inversera un jour. Le parfum deviendra en effet le grand argentier de la haute couture puis de la mode, ainsi que Robert Ricci, le fils et stratège de sa mère Nina Ricci, l’avait tôt pressenti, d’un nez jamais démenti. [A SUIVRE]