Le Gray l’égyptien

12.02.2018
Gustave Le Gray (1813-1884) - Tombeaux des Califes et types, 1862, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie

Gustave Le Gray (1813-1884) - Tombeaux des Califes et types, 1862, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie

Gustave Le Gray (1813-1884) est un des pères fondateurs de la photographie. Il est ici évoqué pour la singularité de son orientalisme : là où ses contemporains rêvaient l’Orient sans s’y risquer, il aura été la proie d’un ravissement imprévu qui l’y retint plus de vingt ans, et y mourut.

Il y a du mystère dans les circonstances qui semblent avoir poussé Le Gray vers le port d’Alexandrie sans que ce fût son dessein avant que d’embarquer à Marseille le 9 mai 1860 sur la goélette d’Alexandre Dumas, à son invitation. Et tout autant d’interrogation au sujet de celles qui le fixèrent en Egypte de 47 ans jusqu’à sa mort à 71 ans. Car enfin l’homme avait été le photographe officiel de l’Empire de Napoléon III et de son épouse Eugénie, respecté et acclamé par ses pairs comme photographe pionnier, expérimentateur et artiste. Il semble avoir été le jouet d’une prédestination sans destination consciente.
L’Emma, le bateau de Dumas, avait pour destination Gênes. Il s’en détourne pour aller à l’encontre du révolutionnaire Guiseppe Garibaldi en Sicile, l’artisan de l’unification italienne, qui vient de prendre Palerme. Ces deux êtres hors du commun se rencontrent devant la cathédrale de la ville délabrée. Le Gray photographie Palerme en ruines et fait un portrait saisissant de Garibaldi.

On ne sait ce qui brouilla Dumas et ses convives, dont Le Gray, qu’il débarque avec fracas à Malte. De là, Le Gray embarque pour Alexandrie. Il ne reviendra jamais en France. Après un voyage le menant à Beyrouth, à Baalbek où il improvise son atelier dans les ruines du temple de Jupiter, puis Damas, il revient vivre à Alexandrie, avant de s’installer au Caire en  1864.

Il a un nom et l’aura de reconnaissance de son travail, qui en fait une notabilité étrangère en Egypte. Il continue d’exécuter des commandes pour le continent, et expédie ses affaires du Caire. Bientôt il photographie officiellement Ismaël Pacha, le Pacha d’Egypte, qu’il accompagne dans des expéditions dans la vallée du Nil et le désert du Soudan. Ses photographies y sont de l’œil d’un maître, qui saisit la pesanteur de la beauté sans artifices. Il sera aussi professeur de dessin de perspective à l’école préparatoire pour l’école polytechnique du Caire. Enfin il semble s’être aussi prêté, peut-être pour des raisons financières en ses vieux jours, à des portraits d’indigènes, dont des spécialistes y voient l’annonce des photographes du siècle suivant, saisissant le vif d’inconnus, en pied ou en buste.

Il résida en deux grandes maisons vastes comme des palais, au Caire, avec ses tableaux et  photos. On ne sait si certains clichés de sa dernière maison du 16 rue Souq al-Zelat, sont de lui. Dans l’un deux, une femme accroupie fait la lessive dans la cour: était-ce sa dernière compagne, grecque, dont il eut une fille ?

Jamais il ne revit ses enfants français, ni son épouse, qu’il paraît avoir fuie… Et probablement la mauvaise gestion de ses affaires en France, et ses dettes conséquentes, ne fut pas pour rien dans son exil. L’Orient l’avait happé. Il meurt au Caire, et ses photos d’Egypte, dont il restitue le lustre imposant et le mystère flottant, composent sa dernière œuvre, en grande partie dispersée, égarée ou ici et là en attente d’être répertoriée.