La Légende du Nord

31.10.2018
Illustration de Pierre Marie

Illustration de Pierre Marie

Un conte d’hiver a été imaginé par Pierre Marie et Ahmed Hamza Terbaoui pour accompagner et illustrer la Collection d’Hiver 2018. Chacune des trois bougies a sa légende, qui constituent ensemble un petit conte éclairé de leurs flammes hivernales.

Ce conte a rappelé au souvenir de diptyque les illustrations de dessinateurs que l’on trouvait dans la boutique diptyque dans les années 60, lorsque celle-ci était comme une discrète fête de surprises toute peuplée de beaux objets attachants, insolites et étonnants. Choisis par Desmond Knox-Leet, ces dessins étaient de la grande tradition anglaise, accompagnant contes et légendes. Ici sur un meuble ceux de Kate Greenaway pour le « Birthday book of Children » imageant les vers Lucy Elizabeth Drummond Sale-Barker, sur quelque étagère plus loin les reproductions de gravures d’Arthur Rackam, qui illustra maints fameux récits, parmi lesquels Alice au Pays des Merveilles, et, probablement en se retournant, pouvait-on aviser, debout entre une poupée de bois colorée comme un oiseau austral et quelque pile de draps anciens, ou de fine vaisselle d’un autre temps, une figure aux perturbantes proportions, bienfaisante ou maléficiante, tracée par le grand Aubrey Beardsley.

Mais voici notre conte de cet hiver…

La nuit la plus longue de l’année venait de commencer, quand trois voyageurs se retrouvèrent.
La première venait du Sud, là où les montagnes abritent de mystérieuses cavernes, le second de l’Ouest, là où les mers recèlent d’étranges trésors, le troisième de l’Est, là où les sapins forment des forêts si hautes qu’elles frôlent les nuages. Tous trois s’étaient donné rendez-vous dans les contrées éternellement enneigées du Nord, pour en découvrir le secret.

On raconte que celui-ci ne se révélera qu’à la parfaite exécution d’un rite ancien et mystérieux. Nos voyageurs, liés par cette même quête, avaient vécus plus d’une aventure pour obtenir le savoir magique qui leur permettrait enfin de percer le mystère polaire. Ils se mirent en cercle dans la nuit noire, et l’un après l’autre, allumèrent une bougie qu’ils posèrent à leurs pieds.

Silence. Le rituel commence.

La voyageuse du Sud tenait dans une main une boule de pâte d’amande et dans l’autre une grande cloche de verre et d’or. Elle jeta la première dans la flamme de la bougie, et dans les volutes de fumée, elle fit raisonner la cloche et récita les vers suivant :

Ô Grand Ours des Montagnes du Sud,
Quitte ta grotte et ta solitude,
Approche au son de la cloche,
Vois l’offrande gourmande.
Mange ces délicieuses pâtes d’amande,
Que leurs arômes délient ta langue.
Avant les lueurs de l’Aurore,
Révèle-moi la Légende du Nord.

Le tintinnabulement clair de la cloche montait encore dans l’air quand le voyageur de l’Ouest prit une fiole d’eau de mer qu’il versa sur une perle centenaire. Il la jeta à son tour sur la bougie, et se mit à chanter :

Ô Sirène des Mers,
Très à l’Ouest des Terres
Toi qui n’apparait qu’à l’éclat de la Lune, 
Guide-moi dans la brume.
Danse au rythme de tes cheveux de perles,
Embaume l’Ambre éternelle.
Mais avant que ne pointe la Lumière d’or,
Révèle-moi la Légende du Nord.

A la dernière note du chant, le voyageur de l’Est jeta des épines de pin dans les flammes à ses pieds, et psalmodia en dansant le sort suivant :

Ô esprit Cerf,
A l’Est et dans les bois verts,
Éclaire les arbres et éloigne l’ombre
De cette nuit si sombre.
Illumine mon chemin
Sur un tapis d’aiguilles de pins.
Alors par ce sort,
Révèle-moi la Légende du Nord.

A peine les derniers vers prononcés, les bougies se muèrent en immense brasier, et dans un éclair, les esprits invoqués apparurent dans une forme spectrale.
L’Ours du Sud leur dit que le secret se révèle aux dernières ombres de la nuit.
La Sirène de l’Ouest leur dit que ce secret était un objet millénaire pouvant réaliser n’importe quel souhait avant le lever du jour.
Le Cerf de l’Est leur indiqua où se trouvait exactement l’objet.

Comme l’avaient annoncé les esprits, quelques minutes avant le lever du jour, ils virent un intense scintillement dans la neige immaculée. Dégageant l’éclat, ils trouvèrent une grande Boussole Dorée. Retenant leur souffle, et joignant leurs mains à l’objet millénaire, ils savaient qu’il ne leur restait qu’à faire un vœu avant les premières lueurs du jour.