Jeune fille se coiffant les cheveux

12.01.2018
Auguste Renoir (1841-1919) - Jeune fille se coiffant les cheveux, 1894, Metropolitan Museum of Art, New York.

Auguste Renoir (1841-1919) - Jeune fille se coiffant les cheveux, 1894, Metropolitan Museum of Art, New York.

Jeune fille se coiffant les cheveux (1894) d’Auguste Renoir, par Pascal Bonafoux

Autant savoir à quoi s’en tenir. Affirmation de Renoir : « Un tableau, c’est la chose qui entend le plus de bêtises ! »
J’en déduis qu’il faut admettre face à une telle toile de Renoir que, peut-être, le seul « commentaire » qui vaille est celui de Guillaume Apollinaire qui, dans l’un de ses derniers poèmes, La Jolie rousse, écrivit :

Elle vient et m’attire ainsi qu’un fer l’aimant
Elle a l’aspect charmant
D’une adorable rousse
Ses cheveux sont d’or on dirait
Un bel éclair qui durerait
Ou ces flammes qui se pavanent
Dans les roses-thé qui se fanent

Inutile d’espérer pouvoir retrouver un propos de Renoir consacré à cette jeune femme qui peigne ses longs cheveux…  Souvenir de Pierre Bonnard : « Quand il fut installé dans le Midi, où je passais quelques mois, j’allais le voir en fin de journée pour ne pas gâter sa séance. On le trouvait fumant une cigarette en clignant de l’œil sur sa toile en train. Il parlait volontiers, mais jamais peinture. » Jamais… Renoir n’a trahi cet adverbe que pour faire part du désarroi qui provoque son exigence. En 1880, il se casse le bras.  A son ami Théodore Duret, il écrit alors : « Je me suis amusé à travailler de la main gauche, c’est très amusant et c’est même mieux que ce que je faisais de la main droite. Je crois que j’ai bien fait de me casser le bras, ça m’a fait faire des progrès. » Quatre ans plus tard, de La Rochelle où il est allé se mesurer à un Corot, c’est à son marchand Paul Durand-Ruel qu’il confie que malgré la pluie « … le peu que j’ai fait ou que je ferai m’a fait faire quelques progrès ». Les années passent et c’est d’Essoyes qu’au même Durand-Ruel il peut écrire : « J’ai repris, pour ne plus la quitter, l’ancienne peinture douce et légère. Je ne veux rentrer qu’avec une série de toiles, parce que, ne cherchant plus, je fais des progrès à chacune ». Certitude remise en cause en 1891 lorsqu’il séjourne à Tamaris-sur-mer : « Je me donne beaucoup de mal pour arriver à ne plus tâtonner. J’ai cinquante ans sonné depuis quatre jours et si à cet âge on cherche encore, c’est un peu sérieux. » Une lettre accompagne la caisse envoyée à Durand-Ruel dont il n’a pu payer le port : « Il y a dedans huit toiles, dont deux sont à peine possibles. » Quatre jours plus tard, inquiet de son envoi « qui est un méli-mélo de recherches », il éprouve le besoin de lui préciser : « Je suis en train de faire des progrès et je voudrais ne revenir que très content de moi. » L’a-t-il jamais été ? On ne peut qu’en douter. En 1915 encore il soupire : « Ah ! quel malheur que chaque progrès qu’on croit faire, c’est un pas qu’on fait vers la tombe !… Vivre encore un peu pour faire un chef-d’œuvre… »

Cette quête inlassable de progrès laisserait-elle entendre que cette jeune femme qui démêle sa chevelure n’est pas, peinte en 1894, ce qu’il aurait voulu qu’elle soit ? Absurde question… D’autant plus inepte que Renoir, en 1894, sait depuis longtemps ce qu’est la peinture. La preuve : « Écoutez, je vais vous confier mon secret… ne le racontez à personne. Oui, je vais vous dire où j’ai trouvé le secret de la peinture… C’est dans un bureau de tabac ! Un jour que j’achetais des cigares en pensant à cette sacrée peinture et que le buraliste me présentant deux boites me demandait : “Colorado ? claro ?” Colorado ! claro ! me dis-je, mais c’est ça la peinture… je la tiens, et j’emporte les deux boites. »

Reste à ne pas tenir compte de l’affirmation de Renoir qui ne s’est pas privé de fustiger « la littérature, cette ennemie-née de la peinture ». Cette satanée littérature ne s’est pas arrogée le droit de donner un titre à cette Jeune fille se coiffant les cheveux. Celui-ci reste une lapidaire description. Lui en attribuer un autre, comme certains l’on fait avec La Pensée, ce serait provoquer ce commentaire de Renoir : « Pourquoi a-t-on donné un pareil titre à ma toile ? Je voulais peindre une délicieuse, une charmante jeune femme sans donner de titre qui ferait penser que je voulais dépeindre un état d’esprit de mon modèle… Cette jeune fille n’avait jamais pensé, elle vivait comme un oiseau, et rien de plus. » Ce modèle qui se peigne n’est sans doute pas différente. Mais peut-être est-ce son geste dans l’atelier qui tout à coup a provoqué la toile… Parce que, Renoir qui a besoin de la présence d’un tel modèle, affirme qu’il « n‘est là que pour m’allumer, me permettre d’oser des choses que je ne saurais pas inventer sans lui… Et il me fait retomber sur mes pattes si je me fichais par trop dedans. ».

 

Pascal Bonafoux est un écrivain et historien de l’art français, spécialiste de l’autoportrait. Auteur de nombreux essais consacrés à l’art, Commissaire d’exposition en France et à l’étranger, il est aussi professeur émérite d’histoire de l’art à l’université Paris VIII.