Histoire d’une photographie

18.09.2017
Une Delage au Grand Prix de l’Automobile Club de France, circuit de Dieppe, 26 juin 1912 – Jacques Henri Lartigue

Une Delage au Grand Prix de l’Automobile Club de France, circuit de Dieppe, 26 juin 1912 – Jacques Henri Lartigue

D’une photographie ratée à une image iconique, par Sylvie Aubenas

En juillet 1913 Jacques Henri Lartigue a tout juste dix-neuf ans. Passionné de sports et photographe amateur depuis l’âge de huit ans, il suit les courses automobiles et les photographie depuis l’âge de onze ans. Il vend même quelques clichés au magazine La vie au Grand air qui relate tous les grands événements sportifs pour un public aisé qui s’enthousiasme pour ces nouveaux loisirs.

Mais cette photographie prise le 12 juillet 1913 à Amiens de « La Théodore Schneider n°6 de René Croquet au Grand Prix de l’Automobile Club de France », le jeune reporter en herbe ne la juge pas digne d’être proposée aux journaux. C’est que cette image devenue l’une des photographies les plus célèbres du 20e siècle est complètement ratée… Elle est floue, déformée et le sujet principal sort du cadre. Lartigue, gâté par son papa banquier, opère avec un Netter, « l’appareil que tout sportif se doit de posséder » dit le slogan. Mais l’obturateur à rideau vertical peine à suivre la course des bolides : les roues sont floues et elliptiques tandis que la carrosserie est nette mais tronquée, les spectateurs tirés en arrière et l’horizon basculé… On assiste à la lutte entre la rapidité de la prise de vue et la course de la voiture. L’image imparfaite reste donc dans ses cartons. En 1924 Man Ray réalise une œuvre similaire à Cannes et la dédie à Francis Picabia, l’artiste amateur de grosses cylindrées. Il la publie dans la revue d’André Breton, La révolution surréaliste. Il comprend immédiatement que ce flou et cette déformation loin d’être des défauts sont désormais les audaces esthétiques nécessaires pour représenter cette chose moderne : la vitesse. Quand Lartigue revoit son image dans les années 1950, sa beauté lui apparaît soudainement. Lorsque le Moma de New-York lui propose une grande exposition en 1963, il la présente dans sa sélection. Et c’est le début de la célébrité.  

 

Par Sylvie Aubenas, historienne de la photographie, Directrice du département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque Nationale de France.