Golf, Fromage et Club de joueurs d’échecs

12.02.2015
Pyramide-Desmond-2

De quel bal sortent les lettres dansantes ?

Ce n’est pas le plus lisible des lettrages mais il est identifiable entre mille. Parfois, d’un air entendu devant une étiquette mutique, certains font mine d’avoir compris. C’est Desmond Knox-Leet qui créa les étiquettes diptyque. Il les dessina et composa leurs lettrines désarticulées. Son passage au manoir de Bletchley Park ne saurait y être étranger. Mais tous ceux qui intégrèrent ses équipes triées sur le volet furent tenus au secret jusqu’à leur dernier jour par un Official Secrets Act de l’Etat de Grande-Bretagne. La réalité de Bletchley Park ne fut jamais officiellement reconnue avant 1974.

De 1939 à 1945, le gouvernement britannique rassembla à Bletchley Park les intelligences les plus diverses et les compétences les plus pointues pour déchiffrer les codes ennemis. Mathématiciens, linguistes, verbicrucistes et cruciverbistes, joueurs d’échecs… Tous au-dessus de tout soupçon. Ce manoir devint le siège du GC&S : Government Code and Cypher School (l’Ecole du Chiffre et du Code du Gouvernement), rapidement surnommée « Golf, Cheese and Chess Society » (golf, fromage et club des joueurs d’échecs). Affectés par baraquements, travaillant par rondes de 8 heures, des groupes sont spécialisés par missions : cryptanalyses, transmissions, renseignements etc. Après sa courte affectation à Gibraltar dans la Royal Navy, Desmond Knox-Leet y œuvra très vraisemblablement comme traducteur jusqu’à la fin du conflit.

Peut-être y croisa-t-il alors Alan Turing ? Les intuitions de ce mathématicien de génie permirent de casser différents codes allemands, dont le fameux enigma, code de la flotte sous-marine ennemie. On lui doit en bonne part la possibilité du débarquement du 6 juin 1944. Consacrant son talent à la modélisation de l’intelligence artificielle puis à la morphogénèse, il est aussi considéré comme le père de l’ordinateur. Il en conçut les premières structures générales et ses méthodes de programmation.

En 1952, il est condamné à la prison pour ses mœurs, l’homosexualité étant alors une infraction pénale. Afin de poursuivre ses recherches, il préfèrera la castration chimique à l’incarcération. Le traitement hormonal l’accule en 1954 au suicide par le cyanure. Une pomme entamée est retrouvée près de son corps. Peut-être lui avait-il injecté le poison ? Depuis, une légende prête au logo Apple la signification d’un hommage au père spirituel de l’informatique.

Shaun Wylie, ami d’Alan rencontré à Princeton et retrouvé à Bletchley Park, déclara longtemps après sa mort : « Mieux valut que la sécurité ne sut rien : il aurait sans doute été viré et nous aurions perdu la guerre… » Le 24 décembre 2013, la reine d’Angleterre signa une prérogative royale de clémence graciant Alan Turing. Le Premier Ministre Gordon Brown, exprimant son profond regret et son affliction, reconnut l’inhumanité d’un tel traitement, reconnaissant son rôle décisif durant la guerre et lui demandant pardon en concluant par ces mots: tu méritais tellement mieux.

Ainsi vont les secrets : vital ici, mortel ailleurs. Tout n’est trop souvent qu’une question d’étiquette : aussi est-il sage de savoir parfois leur conserver un caractère énigmatique. Ce peut être l’un des messages des lettres dansantes…