Gerhard Richter & le hasard

19.10.2018
Gerhard Richter - Vitraux du transept sud de la cathédrale de Cologne

Gerhard Richter - Vitraux du transept sud de la cathédrale de Cologne

Gerhard Richter & le hasard, par Paul Nyzam

Chef-d’œuvre de l’art gothique culminant à 157 mètres au-dessus du Rhin, édifiée par étapes successives entre le XIIe et la fin du XIXe siècles, ayant miraculeusement résisté aux bombardements alliés pendant la Seconde Guerre mondiale – qui la laissèrent toutefois en piteux état – et inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1996, la cathédrale de Cologne est le monument le plus visité d’Allemagne. C’est donc peu dire que le remplacement des vitraux de son transept sud par l’artiste contemporain Gerhard Richter en 2007 fut scruté de près et qu’il engendra des réactions contrastées (le cardinal de la ville brilla par son absence le jour de l’inauguration).

Depuis le début des années 1960, Richter explore de façon méthodique l’ensemble des possibilités offertes par la peinture, à travers une œuvre polymorphe allant de toiles photoréalistes à des tableaux parfaitement abstraits. Pour le projet de la cathédrale de Cologne, s’inscrivant dans les pas d’autres artistes du XXe siècle s’étant attelés à la réalisation de vitraux (Marc Chagall à Reims, Alfred Manessier à Abbeville et ailleurs, Pierre Soulages à Conques), il eut d’abord l’idée de livrer une scène figurative, représentant le massacre des innocents par les Nazis. Insatisfait, il choisit finalement de s’appuyer sur une œuvre de 1974, 4096 Farben (4096 couleurs), pour réaliser un ouvrage composé de près de 11500 carreaux de verre de 72 couleurs différentes mais de taille identique, assemblés de façon aléatoire à l’aide d’un ordinateur (quoique l’artiste soit parfois intervenu pour corriger des combinaisons chromatiques jugées non pertinentes).

Les grilles colorées de Richter, commencées en 1966, naissent dans le contexte des interrogations plastiques posées par l’art minimal émergeant à l’époque, ainsi que de l’esthétique du Pop Art qui utilise alors des nuanciers issus de la grande distribution. Surtout, elles s’emploient à proposer une catégorisation neutre et systématique des couleurs, sur la base d’un principe élémentaire partant du bleu, du rouge, du jaune, du noir et du blanc, mélangés entre eux et déclinés par un multiple de 4 jusqu’à obtenir des teintes de plus en plus subtiles (4 x 4 = 16 x 4 = 64 x 4 = 256 x 4 = 1024 x 4 = 4096) réparties ensuite au hasard sur la toile. Ce faisant, l’artiste abolit toute idée de composition et s’affranchit de la contrainte d’un projet de représentation préconçu, limitant son intervention au choix du format du tableau et des proportions de la grille.

« Les peintures créées de cette façon tendent à la perfection et expriment l’idée d’un nombre de possibles pratiquement infini », déclarait l’artiste un an avant la réalisation des vitraux de Cologne. Perfection et infini : deux notions qui, de tout temps, ont été au cœur des préoccupations de l’art religieux. La réponse de Richter au défi qui lui était lancé fut donc d’étendre le principe des chartes polychromes à l’échelle monumentale de la cathédrale. Et voilà le vertige qu’engendre chez celui qui la contemple la myriade de carreaux colorés traversés de lumière : celui de constater que le sublime naît ici d’une méthode mathématique et d’un algorithme de répartition assisté par ordinateur ; celui de voir le profane en ce lieu confiner au sacré.

Paul Nyzam est spécialiste en art contemporain chez Christie’s.