Fahrenheit 451

27.02.2017
Couverture annotée par le cinéaste François Truffaut du livre Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, éditions Denoël – (La Cinémathèque française © Succession François Truffaut)

Couverture annotée par le cinéaste François Truffaut du livre Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, éditions Denoël – (La Cinémathèque française © Succession François Truffaut)

Fahrenheit 451 est un récit futuriste de Ray Bradbury, publié en 1953, adapté au cinéma par François Truffaut en 1966, avec l’accord de l’auteur. Le titre est la température à laquelle brûle un livre. Car dans cette société fictive, celui-ci est prohibé, traqué et détruit par le feu.

Souvent qualifié de dystopie, l’inverse de l’idéal d’une utopie, ce récit présente une société cauchemardesque. Son portrait ressemble aux joies domestiques de la société de consommation où les foyers jouissent d’un confort régulier et « sans histoire ». L’expression française fait mouche : la culture, le savoir, la mémoire, la réflexion, l’imaginaire, l’éducation affective par la fiction sont choses empêchées et impossibles. Les livres sont illicites. Détournés de leur fonction d’antan, les pompiers sont maintenant des brigades destinées à les brûler tous. Ces autodafés méthodiques font le plus souvent suite à des dénonciations. C’est donc un régime totalitaire d’apparence paisible et réglée. Mais ses sujets sont médicamentés, stupéfiés de pilules pour agir, pour se réjouir et pour dormir. Pour ne plus se souvenir aussi. Ils ne sont plus capables de penser, de ressentir autrement qu’avec des affects convenus, normés et mesquins. Surtout, ils ne savent plus aimer. Il semble que ce despotisme soit parvenu à « leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre » selon l’heureuse et terrible expression d’Alexis de Tocqueville.

Dans cette humanité standardisée, tous sont également alignés sur une norme dictée par le pouvoir – norme matérialiste sans vie, sans force, et sans intensité. Il est imputé à l’instruction de produire de l’inégalité et de la vanité, soit du désordre. Aussi faut-il éradiquer toute source de culture pour assurer cette terne félicité collective. Ce régime politique repose sur la nescience : l’absence de savoir et de connaissance.
Le livre est remplacé par l’écran télévisuel, constamment allumé, diffusant des programmes lénifiants, et interagissant avec les citoyens – surtout les citoyennes, épouses au foyer, coquettes et ahuries de niaiserie devant leur télé. Cette présence télévisuelle incite les téléspectateurs à y participer en direct de chez eux, leur procurant une popularité par des interventions débiles. La communauté constituée par les animateurs et les téléspectateurs sollicités ou passifs s’appelle « la famille ». Les écrans plats du film de Truffaut ressemblent en tout point aux écrans plasma d’aujourd’hui. De façon caricaturale et critique, cette configuration semble prémonitoire de certains usages des réseaux sociaux actuels, où une quête avide de popularité et d’existence à travers l’intermédiation de l’écran toujours allumé subroge la vie réelle au beau milieu de celle-ci.

Quelle résistance est-elle encore possible contre un tel joug d’ignorance et qui ne mette pas sa vie en danger ? La mémoire. Lutter, c’est apprendre. Les livres étant brûlés, et ceux qui s’y opposent avec, il reste à savoir un livre par cœur et le transmettre oralement jusqu’à ce qu’il soit à nouveau permis de l’imprimer, un jour. Faute de papier, la tête. Avec la conscience de devoir conserver la fleur de l’héritage de l’humanité d’avant pour celle qui vient. Fahrenheit 451 se conclue sur la découverte de communautés marginales mais licites d’êtres-livre ou « couvertures de livres » où chaque individu s’appelle du titre d’un livre et de son auteur, qu’il peut réciter et dont il est le garant vivant de son inestimable contenu, sans lequel les êtres humains manqueraient leur humanité.