Epopée du papier

06.02.2017
Papier "pur chiffon", à la papèterie artisanale Le Moulin du Verger.

Papier "pur chiffon", à la papèterie artisanale Le Moulin du Verger.

L’histoire du papier ne tient pas sur une feuille. Le papier, invention cardinale, support de l’écriture, substrat d’éveil ou d’obscurantisme, diffuse le savoir et propage les propagandes. Il a fait l’objet d’enjeux religieux, techniques et économiques, puis écologiques.

Le papier est une matière sèche produite par la mise en suspension dans l’eau de fibres – végétales ou issues de tissus d’origine animale (laine, soie…) – égouttée puis disposée en feuilles. Celles-ci sont d’abord le réceptacle de la langue écrite. Le papier est le corps du livre, dont l’écriture en est l’âme. Il s’est imposé au fil de de l’Histoire, supplantant le papier d’amate des amérindiens – fait de fibres végétales non macérées, écrasées et lissées avec une gomme, le parchemin – en peau d’animal, et le papyrus – superposition de lamelles végétales découpées, entrecroisées et compressées. L’usage du papier est si divers est nécessaire que sa consommation s’accroît encore à l’ère numérique.

Comme souvent origines et conjectures se confondent. Antérieure de quelques siècles à notre ère, l’invention du papier est chinoise et demeura toujours un secret hautement gardé. Il scelle la parole du pouvoir : il l’acte, la consigne et la pérennise. Officiellement, son inventeur et patron déifié est le marquis Caï-Lun, eunuque haut fonctionnaire d’Etat, qui en mentionne l’existence à l’Empereur Hoti en 105 après J.C. Surtout il en améliore qualité et résistance par l’ajout de fibres de tissus à celles de chanvre et d’écorce.

Le secret est volé à l’issue de la bataille du Talas en 751 où les troupes du califat abbasside défont celles de la dynastie Tang, faisant prisonnier des savants et artisans possesseurs de techniques secrètes : poudre à canon, soie et papier. Le papier devient le support de diffusion du Coran et ouvre l’âge d’or islamique (du VIIIe au XIIIe siècle). Son essor accompagne l’épopée des conquêtes arabes, jusqu’en Andalousie. Cela explique qu’il fut tenu en terrible méfiance par le clergé chrétien lorsque l’invention accoste son Empire par la Sicile et l’Italie, au XIIe siècle. Les moulins à papier se multiplient nonobstant. Le premier moulin à papier de France connu serait de 1348, à Troyes. Bientôt, la réinvention de l’imprimerie par Gutenberg en 1454 (son invention étant elle aussi chinoise), associée à l’humanisme européen de la Renaissance inaugurent une nouvelle période de l’histoire mondiale. Les matériaux d’écriture traditionnels d’occident, papyrus et vélin (parchemin médiéval en peau de veau mort-né) étant respectivement trop fragiles et trop chers, l’imprimerie est indissociable du papier, relativement résistant et bon marché.

Technique et science complètent la révolution du papier aux siècles suivants. La force hydraulique actionnait une pile à maillet pour réduire en fibre les macérations de chanvre et de tissus de lin dans des « pourrissoirs ». Au XVIIe siècle, le cylindre effilocheur hollandais élimine cette phase préalable. La mécanisation de la production de la pâte à papier et la transition du moules à feuille à la bobine de papier intervient en 1798 avec le brevet français de Louis-Nicolas Robert qui, faute de financement, sera repris et amélioré en Angleterre. Les progrès techniques seront alors continus jusqu’à ce que la papèterie devienne une industrie lourde au XXe siècle.

C’est au XIXe siècle que la science élucida le savoir empirique par la découverte de la cellulose, fibre présente dans les cellules végétales, surtout bois et coton. En une période de crise des tissus, le bois, abondant et peu cher devint la matière première du papier.

Processus de fabrication, matières premières, grammages et grains font une infinité de papiers, vergé ou vélin, papier cigarette ou papier bible, papier pour l’aquarelle, la gravure, la lithographie, l’édition d’art, mais aussi pour le filtre à café, le carton et le billet fiduciaire…  

Recyclable, incinérable et biodégradable, la valorisation du papier est d’actualité de par son potentiel écologique. Et parce qu’il fait corps au livre et à l’écriture, le papier demeure une invention presque vitale à l’humanité. En français, les papiers sont même synonymes de carte d’identité. Ce n’est pas tant l’avenir du matériau qui se pose, que de son emploi comme dépositaire du savoir et du sens face à la dématérialisation future accrue des données et des écrits.