Diva dingo

28.10.2016
Florence Foster Jenkins (©Getty image)

Florence Foster Jenkins (©Getty image)

Florence Foster Jenkins (1868-1944) a-t-elle inspiré à Hergé son rossignol milanais, Bianca Castafiore? Celle-ci fait rire les lecteurs, mais celle-là fit rire son auditoire – à son insu hélas. Le cinéma la consacre de la plus émouvante façon. Et le passé de diptyque affleure…

Florence Foster Jenkins fut une diva excentrique que sa passion aveugle de la musique rendit sourde à ses aptitudes. Voix, tempo, tonalité, diction, tout déraillait d’un travers criard. Contrariée dans sa passion d’enfance, sa fortune héritée lui permet de débuter sa carrière de cantatrice à 44 ans. Elle lui acquiert aussi un entourage affectueux et intéressé qui lui couvre la dissonante vérité. Son mari lui orchestre avec brio une complaisance généralisée. Son pianiste fait contre mauvais cœur bonne fortune. Puis il s’attache à cette prima donna désaccordée. Et voilà le trio dans la légende. Et un Carnegie Hall triomphal à 76 ans où les hourras hilares sont sincères. Mais les critiques de presse ne pouvant  plus alors être tenus à l’écart, leurs revues parviennent à l’oreille de la ‘cantatroce’. Ils eurent raison de sa vie. Elle décède un mois plus tard.

La romance biographique que Stephen Frears fait de Florence Foster Jenkins est remarquable. Les faits sont justes, mais les sentiments doivent être conjecturés, faute de témoignages. Meryl Streep la personnifie telle qu’il est impossible de ne pas l’aimer, la soutenir, ni la pleurer. Hugh Grant n’est pas en reste dans le rôle du mari, St. Clair Beyfield. Intimidé par sa partenaire et incertain sur son rôle, il a déclaré s’être beaucoup documenté sur le personnage. Il en a retenu que si l’alliance de cet homme, acteur à la carrière sans horizon, avec cette femme, chanteuse à la voix sans avenir, fut d’abord un pacte de vanités, prestance et beauté contre fortune et entregent, il en vint à véritablement l’aimer. Il se fit alors l’impresario et le cerbère de sa douce démence, d’une tendresse sans cynisme. Simon Helberg, dans le rôle du pianiste Cosme MacMoon, joue au diapason de ses comparses, au service des stridences pathétiques de sa givrée de patronne. Il semble que la véritable Florence Foster Jenkins ait été appréciée, certes non pour son art et à rebours des raisons qui lui faisaient croire à son succès. Le mot aurait été donné, durant sa performance au Carnegie Hall, de couvrir d’applaudissements et de sifflets enthousiastes les inextinguibles fou-rires qu’elle ne manquait de soulever. Le film de Frears se termine sur une séquence qui laisse écouter comment elle s’entendait gracieusement chanter, éperdument convaincue d’être l’égale des grandes voix de son temps.

Or voilà. La diva dingo commit aussi un disque, probablement plusieurs. Il n’était pas destiné à être public. Il le devint pourtant malgré les efforts contraires de ses proches voulant la sauver du ridicule. Sur un malentendu, ce dernier lui acquit la renommée. Des années plus tard, non sans ironie malicieuse, Desmond Knox-Leet (l’un des trois fondateurs de diptyque) se prendrait d’affection pour l’enregistrement de cette timbrée sans timbre de Florence Foster Jenkins. C’était alors une rareté, pour le salut de l’humanité. Probablement Desmond en acquit-il un stock – ou le fit-il réimprimer ? – toujours est-il qu’en s’associant à L’Epi d’or, un magasin de décoration de l’angle de la rue de Pontoise (la boutique diptyque est à l’angle de cette rue avec le boulevard Saint Germain) tenu par une amie, cet enregistrement y fut en vente.

C’était en 1966. La presse parisienne signala que le « disque le plus drôle de l’année » était en vente chez diptyque et L’Epi d’or. C’était une exclusivité ! Tout ceci laisse sans voix.