Le degré zéro de l’écriture

24.03.2017
Roland Barthes en 1981

Roland Barthes en 1981

 Écriture poétique et Degré zéro de l’écriture, par Éric Marty

Dès son premier essai, Le Degré zéro de l’écriture (1953), Barthes consacre un chapitre entier à la question poétique, mais, faut-il le remarquer, sous la forme d’une interrogation « Y a-t-il une écriture poétique ? » comme si la poésie était un objet improbable.

Ce qui intéresse Barthes alors, c’est moins la poésie en général, que ce qu’il appelle la poésie moderne qui se définit essentiellement par opposition à l’art classique, et dont le point d’origine est davantage Rimbaud que Baudelaire. Ce dernier reste aux yeux de Barthes tributaire d’une poétique qui n’a pas encore opéré de véritable rupture dans l’usage du langage, dans le rôle qui lui est attribué, dans sa fonction. Car, pour Barthes, le poème moderne opère une mutation dans l’être même du langage au point qu’il n’a plus besoin d’afficher les signes conventionnels de la poésie (rime, vers, strophes) pour être aussitôt perçu comme une substance particulière, et dans une altérité radicale, non seulement par rapport à la prose, mais par rapport à la logique universelle du discours.

Si l’expression humaine est essentiellement relation (relation des mots entre eux, relation des hommes entre eux), alors le poème est ce qui fait exploser toute relation, et la caractéristique de la poésie moderne est de placer les Mots dans une solitude, une verticalité, un vide qui deviennent leur unique support et leur seul cadre. Le Mot n’est plus qu’un « bloc », sans référence, ni passé, sans discours pour le soutenir. Le Mot se fait objet, et le poème succession de verticalités emplies de tous les sens possibles.

C’est que, pour Barthes, la poésie moderne – celle de René Char ou de Francis Ponge –  a su substituer au monde du contrat social et de la communication, le monde solitaire et discontinu des mots-objets, où le Mot ne peut être faux parce qu’il est total.

 

Éric Marty, écrivain et professeur de littérature française contemporaine à l’Université Paris VII – Diderot, est l’éditeur des œuvres complètes de Roland Barthes.