Daniel Boudinet : le temps de la couleur

08.06.2018
Daniel Boudinet - Réverbère et éclairage nocturne (Ministère de la Culture / Médiathèque de l’architecture et du patrimoine / Dist. RMN-GP © Donation Daniel Boudinet)

Daniel Boudinet - Réverbère et éclairage nocturne (Ministère de la Culture / Médiathèque de l’architecture et du patrimoine / Dist. RMN-GP © Donation Daniel Boudinet)

« Le temps de la couleur » est une exposition du musée du Jeu de Paume consacrée au photographe Daniel Boudinet (1945-1990). La facture classique de son travail le tint éloigné d’une renommée fracassante. Il ne photographiait pas tant l’instantané que la durée dans la présence.

Daniel Boudinet œuvra à faire de la photographie une œuvre d’art. Loin de la photographie marchande d’une part, mais tout autant de celle prise sur le vif de ses grands aînés, il composa ses prises de vue comme un maître ancien. Sa maîtrise technique était mise au service d’une image pensée, au cadrage précis avec la rigueur silencieuse de l’observation de son sujet. Il privilégia souvent les longs temps de pause de la photographie à la chambre : «Les photos prises au 500e ou au 125e de seconde et destinées à un journal sont généralement faites pour être vues à la même vitesse. Une photographie au 125e devient à mon avis intéressante quand on arrive à arrêter le regard beaucoup plus longtemps.» Mais il travailla aussi beaucoup la technique du polaroïd, lui permettant des expérimentations de prises et de tirages.

Daniel Boudinet ne photographiait pas l’anecdote, ne cherchait pas le sentiment ni à pourvoir une information. Son regard était celui d’un architecte de l’image cherchant à rendre l’équilibre d’une vue dans ses lignes et sa tenue. Aussi ses photographies d’architecture et paysages sans présence vivante paraissent-elles ses plus grandes réussites esthétiques et un manifeste pour un type de photographie. Pourtant ces qualités se retrouvent dans ses portraits d’artistes et d’écrivains.

Dans les années soixante et soixante-dix, la couleur était le plus souvent réservée aux photographies publicitaires ou aux photos de famille. La grande photographie était d’abord en noir et blanc. L’exposition du Jeu de Paume montre l’importance de son apport par son emploi de la  couleur. Si Boudinet choisit la couleur pour photographier certains sujets, c’est en ce que celle-ci géométrise l’image, donne corps et poids aux formes et qualifie la vérité des éléments. Ces couleurs ne sont pas quantité négligeable dont le noir et blanc saurait s’affranchir. La ville assourdie par la nuit et baignée de lumières électriques lui fut l’opportunité patiente de photographier le mystère, particulièrement à Paris (Bagdad-sur-Seine, chez Arthème Fayard, en 1973), mais aussi en Alsace, à Londres, à Rome, à Bomarzo, à Pétra en Jordanie, puis en Thaïlande, en Chine et en Inde. Son art pictural de l’architecture lui valut des commandes de l’historien Philippe Duboy (Cf. Tombe Brion de Carlo Scarpa près de Venise), de l’Institut français d’architecture ou de la Caisse nationale des Monuments historiques.

Roland Barthes, qu’il connaissait, célèbre son travail dans son ouvrage sur la photographie « La chambre claire ». Ils signèrent même ensemble un numéro d’une revue photographique, Creatis. La qualité d’épure classique de sa photographie lui avait acquis la reconnaissance d’artistes, de grands écrivains et de connaisseurs à l’œil sûr. Mais rien dans l’austérité et l’absence d’effets de ses photos ne pouvait taper dans l’œil d’un public plus large.

« C’est une ligne de crête entre deux abîmes : celui du naturalisme et celui de l’esthétisme. J’avais besoin de la dessiner avant de dire comment, à mes yeux, D. B. s’y tient : avec exactitude, force et délicatesse. » (Roland Barthes)

 

Nota Bene : L’exposition « Le temps de la couleur » se tient du 16 juin au 10 octobre 2018, au musée du Jeu de Paume, à Paris.