Cy Twombly

21.04.2017
Untitled, de Cy Twombly (1928-2011). Huile, mine de plomb et crayon gras sur papier 70 x 87.5 cm. (27½ x 34½ in.) Réalisé à Rome en juillet 1970.

Untitled, de Cy Twombly (1928-2011). Huile, mine de plomb et crayon gras sur papier 70 x 87.5 cm. (27½ x 34½ in.) Réalisé à Rome en juillet 1970.

Cy Twombly, par Paul Nyzam

Les œuvres de Cy Twombly posent d’emblée une question de langage. Que voit-on au juste ? Des taches, des griffonnages indéchiffrables, des lignes maladroites qui parcourent la surface de façon apparemment aléatoire, des gribouillis enfantins, des ratures – tantôt laissées telles quelles, tantôt partiellement effacées – des chiffres et des mots (des noms le plus souvent), des coulures qui s’apparentent surtout à des dégoulinures. On ne sait guère par où prendre tout cela. Comment nommer ce geste singulier ? Est-ce encore celui d’un peintre ou bien est-ce autre chose ? Au fond, ne devrait-on pas dire, comme l’historien d’art Simon Schama, que « Twombly devrait être un verbe (si ce n’en est pas déjà un). Cela donnerait : ‘Twombly, v. tr. – Survoler pensivement une surface en traçant des lignes et des signes malicieusement évocateurs, et se poser par intervalles dans une effusion affectueuse.’ » ?

Revenons quelques instants à l’homme. Twombly nait en 1928 en Virginie, Etat rural à l’écart de l’effervescence des villes côtières. Etudiant au Black Mountain College – où il côtoie John Cage, Merce Cunningham, Franz Kline ou Robert Motherwell – il obtient une bourse d’études lui permettant d’effectuer un premier voyage en Italie en 1952-1953. La culture méditerranéenne – la richesse inépuisable de son histoire et de son architecture, sa poésie, sa lumière semblable à nulle autre – exerce sur lui une fascination qui ne le quittera plus. Après un bref retour aux Etats-Unis en 1954, quand il est engagé en tant que cryptographe dans l’armée américaine (faut-il voir dans cet épisode de la vie de l’artiste, au cours duquel il travaille à l’élaboration de langages codés, une clef de lecture à son goût de la dissimulation et du secret ?), Twombly s’installe définitivement à Rome en 1957 et y épouse une riche aristocrate italienne.

Son art dès lors se déploie librement, loin des canons américains qui dominent à l’époque – expressionnisme abstrait dans les années 1950, Pop art et minimalisme la décennie suivante -, mais pétri en revanche d’érudition classique, qu’elle soit mythologique (Orphée, Pan, Apollon, Patrocle ou Achille sont les héros de ses œuvres) ou picturale (références nombreuses à Raphaël, à Poussin, à David). Le temps passant, la palette des couleurs puise de plus en plus dans le répertoire chromatique de cette Méditerranée tant chérie : il y a ainsi ces rouges incandescents comme on en voit parfois l’été à Gaeta, sur la côte tyrrhénienne, où l’artiste a installé un atelier ; ou encore ce blanc cassé qui éblouit comme celui des maisons plates couvertes de chaux. 

La singularité déjà évoquée des peintures trouve un écho dans les sculptures, elles aussi réalisées à partir de matériaux pauvres (carton, bois, plâtre, papier, tiges métalliques) et peintes uniformément en blanc, qui rappellent par leur majesté hiératique certaines formes de la statuaire étrusque ou égyptienne. Cette pauvreté formelle donne à voir ce qui, au fond, est la véritable matière première que Twombly façonne, sa materia prima : c’est l’Histoire elle-même ; sa densité, son épaisseur, sa puissance qu’il convoque dans ses œuvres. Lorsqu’il peint Hérodiade, l’Ôde à Psyché ou les Neuf discours de Commode, l’artiste ne représente rien au sens habituel du terme, mais invite sur la toile l’énergie, la présence-même de ces figures historiques ou mythologiques. Peinture autant qu’écriture, l’œuvre de Twombly sera longtemps restée confidentielle, parce que difficilement accessible au-delà d’un cercle de quelques défenseurs lettrés, dont Roland Barthes aura été l’un des plus fervents. La superbe rétrospective que lui consacre actuellement le Centre Pompidou permet d’en apprécier l’importance et la grâce.

Paul Nyzam est spécialiste en art contemporain chez Christie’s.