Les couleurs de Josef Albers

22.05.2017
Josef Albers (1888-1976) - Homage to the Square: Soft Spoken (1969), Metropolitan Museum of Art

Josef Albers (1888-1976) - Homage to the Square: Soft Spoken (1969), Metropolitan Museum of Art

Né allemand, Josef Albers, professeur d’arts visuels et auteur d’une théorie des couleurs allant à l’encontre de la discipline colorimétrique, a eu une grande influence sur l’art moderne américain d’après-guerre et est à l’origine de l’Op art.

La vie d’Albers est dédiée à l’étude, la réflexion et l’enseignement de la pratique artistique. Etudiant en arts dans diverses écoles allemandes, il rejoint l’institut du Bauhaus (anciennement Institut des arts décoratifs et industriels de Weimar) comme étudiant en 1920, où il deviendra professeur en 1925. Avec la fermeture de ce foyer d’ « art dégénéré » par le régime nazi, qui comptait Albert Einstein parmi ses soutiens, Albers rejoint les Etats-Unis où il poursuivra sa carrière comme responsable du programme de peinture de l’université Black Mountain College en Caroline du Nord, puis dirigera l’école d’art de Yale. Né en 1888, il décède en 1976.

Il fut un passeur aux Etats-Unis des idées du Bauhaus, recherchant la conciliation du progrès technique et de l’art, la diffusion de l’art auprès du plus grand nombre et enjoignant l’utilisation de tous types de matériaux, parmi les plus modestes, pour créer des œuvres. Aux Etats-Unis, il eut comme élèves de futurs artistes parmi les plus reconnus de leur temps, dont Rauschenberg, qui le considérait comme le meilleur professeur qu’il eût eu, Cy Twombly, Kenneth Noland, Richard Anuszkiewicz et Eva Hesse. Professeur cherchant à apprendre en enseignant, par l’échange d’expériences, il transmet aux étudiants d’une université dont les finances sont aux abois l’art de faire avec ce qu’il y a, feuilles mortes, récupération de déchets, stimulant la capacité inventive qui doit s’accommoder de ce qui est disponible. Il remet ainsi à l’ouvrage, auprès d’une nouvelle génération d’artistes dans une culture différente, ses idées premières et la pensée du Bauhaus. Donald Judd (1928-1994), artiste plasticien et théoricien de l’art d’une importance éminente, a beaucoup écrit sur Josef Albers, faisant entendre à quel point il restait sous-estimé, lui-même ayant commis cette bévue à ses débuts, et combien son enseignement fut décisif, dans son contenu autant que dans sa manière.

Josef Albers est demeuré renommé pour son travail sur les couleurs. Son ouvrage The Interaction of Colors (L’interaction des couleurs) expose et démontre d’un point de vue pragmatique une théorie allant à l’encontre de celle de son ancien collègue du Bauhaus, Vassily Kandinsky, qui accordait une valeur intrinsèque aux couleurs (une valeur absolue associée à des résonnances symboliques), et allant aussi à l’encontre de la colorimétrie,  qui établit avec des protocoles scientifiques une mesure des rayonnements de couleurs et des stimulus qu’ils animent, lesquels produisent une perception colorée. Albers oppose à cette approche une étude des relations des couleurs entre elles, établissant que la perception d’une couleur est en grande part déterminée par ses couleurs voisines. Penseur, chercheur et créateur, ses conclusions théoriques sont le fruit d’un travail empirique d’artiste qu’il expose de façon pédagogique.

D’une part il constate qu’un mot qualifiant une couleur recouvre une infinité de perceptions variées par chacun, et que celles-ci sont influencées par le langage qui les qualifie (une couleur pouvant avoir un mot dans un pays et une dizaine dans un autre). De l’autre que cette perception d’une couleur est une interaction avec l’ensemble visuel au sein duquel elle rayonne, à commencer par l’arrière-plan. Il va sans dire que L’interaction des couleurs est un ouvrage autrement plus savant, argumenté et profond que ce résumé auquel on le réduit souvent. Josef Albers a lui-même créé de nombreuses études picturales sur la couleur, dont sa série Hommage au carrée est connue, sans que l’auteur le soit toujours.

L’approche d’Albers est pratique et sensible: « Le livre Interaction des couleurs est un témoignage d’une voie expérimentale d’étude des couleurs et de leur enseignement » écrit-il, tant le savoir de leur mise en proximité peut produire d’effets fascinants et trompeurs, car, résume-t-il encore ailleurs : « Color is the most relative medium in art » (« la couleur est le medium le plus relatif en art »).