Constellations de Joan Fontcuberta

24.11.2017
Joan Fontcuberta - MN 62: OPHIUCUS (NGC 6266), AR 17 h. 01,2 min. / D -30º 07′

Joan Fontcuberta - MN 62: OPHIUCUS (NGC 6266), AR 17 h. 01,2 min. / D -30º 07′

Joan Fontcuberta, Constellations, par Nathalie Parienté

“… Mais je connus dès lors quelle saveur a l’univers
Je suis ivre d’avoir bu tout l’univers Sur le quai d’où je voyais l’onde couler et dormir les bélandres
Écoutez-moi je suis le gosier de Paris Et je boirai encore s’il me plaît l’univers
Écoutez mes chants d’universelle ivrognerie
Et la nuit de septembre s’achevait lentement
Les feux rouges des ponts s’éteignaient dans la Seine
Les étoiles mouraient le jour naissait à peine”.

Apollinaire, Alcools, Vendémiaire.

 

Depuis toujours la science de l’observation des astres figure au rang des activités de l’esprit de plus haute volée, en ceci qu’elle génère une réflexion sur l’Homme, sur l’impact des étoiles sur son destin, et surtout sur sa place dans le cosmos.

D’un point de vue mythique ou symbolique, que ce soit l’étoile de Bethléem qui guide les Rois Mages ou bien celles des marins, Aldébaran ou d’autres, se joue ici quelque chose de grand, de bien plus grand que l’Homme.

Le médecin, musicien, philosophe, Albert Schweitzer (1875-1965) définit l’idéal comme « une étoile qui ne peut être atteinte mais demeure un guide ».

Au Moyen-Age, l’astronomie qui, depuis l’antiquité gréco-romaine avec notamment les pythagoriciens, comptait au rang des arts libéraux, englobe encore l’Astrologie, la Cosmologie, la Chirologie et la doctrine des cycles qui sera reprise par Dante. A la Renaissance, les cabinets de curiosité, tels que celui de Rodolphe II de Habsbourg, se doivent de disposer dans leur partie « cientifica », d’astrolabes ou des derniers instruments de la connaissance du ciel, témoignages de progrès scientifique et d’humanisme.

L’histoire de l’art elle-même, depuis les ciels étoilés des plafonds des monuments égyptiens, jusqu’à ceux de Van Gogh, pour ne citer que ces exemples-ci en peinture, est jalonnée de représentations de la voute céleste. Dans les domaines de la musique et de la poésie, le ciel étoilé ne peut se penser sans les notes de Léo Delibes (1), sans celles de Debussy (2) ni sans les vers d’Apollinaire (3)…

L’espiègle Joan Fontcuberta (photographe, né à Barcelone en 1955) prétend, dans le texte accompagnant le corpus de photographies intitulées « Constellations », avoir été invité en résidence au Laboratoire à l’Institut d’Astrophysique des Canaries, où se trouve l’un des ciels les plus purs d’Europe, afin d’y documenter la voute céleste. En réalité, c’est un nouveau tour que l’artiste nous joue  : malgré  la multitude de détails circonstanciés, malgré les titres évocateurs, et la caractérisation scientifique accompagnant chacune  des images : MIN 42 : ORION (NGC 1976) AR 05 h 35,4 mn D – 05’’27’ par exemple, ces constellations sont en fait les restes d’insectes agglutinés contre le pare-brise de sa voiture (recouvert de papier photo sensible) alors que l’artiste est en train de conduire à toute vitesse sur l’autoroute…

C’est aussi notre rêve cosmique, qui (comme l’insecte) se brise ce jour-là contre ce même pare-brise…

Pourtant, dans cette tension ironique entre sublime (les constellations) et misérable (l’insecte écrasé), l’artiste nous invite à entreprendre une réflexion dynamique sur la photographie, en cessant de la définir par son propre atavisme, comme document irréfutable.

Surtout, il nous invite à interroger la nature des relations entre beauté et sublime.

Entre beauté et vérité.

 

(1) Léo Delibes, Lakmé, « Sous le ciel tout étoilé».
(2) Debussy, « Nuit d’Étoiles ».
(3) Guillaume Apollinaire, Alcools, où il est largement question d’étoiles.

 

Nathalie Parienté est historienne de l’art et commissaire d’exposition, et notamment de l’exposition «Joan Fontcuberta. Ad Litteram», Universidad Internacional de Andalucía, Málaga, 23 juin – 29 juillet 2016.