Berger&Berger chez Private Choice

17.10.2016
Laurent et Cyrille Berger (© photo Guillaume Ziccarelli)

Laurent et Cyrille Berger (© photo Guillaume Ziccarelli)

Dans le cadre de la 4ème édition de Private Choice, initiative privée rattachée à la FIAC, Nadia Candet a invité Berger&Berger en leur accordant une pièce entière, le grand salon, de ce grand appartement classique transmué en galerie éphémère d’œuvres en vente. Ces œuvres sont contemporaines, d’art et de design selon des classifications d’usage. Un espace, c’est tout ce dont les Berger&Berger avaient besoin. Frères et associés, artistes et concepteurs, l’un est architecte, l’autre artiste diplômé de l’ENSAD, à l’œuvre depuis 2006, ils créent et signent tout ensemble.

La matière première de Berger&Berger est peut-être l’espace. Leur intervention est celle de penser, proposer et produire des fictions qui invitent des vies à investir un endroit – à l’envers des préconceptions. Selon le lieu, la commande, l’attente et les nécessités, les formes dans lesquelles se cristallisent ces récits seront l’architecture, la scénographie, la composition lumineuse, le dessin, le graphisme, le design, les paysages ou tout autre champ utile de maîtrise, avec des collaborations.
Tout champ d’usage – un papier, une scène, un musée, etc. – s’emploie, se déploie, se déjoue et s’échange avec d’autres champs qui le traversent en s’informant et se déformant mutuellement. Aussi les réalisations de Berger&Berger, sont-elles multiformes : l’architecture des espaces publics du Centre National de la Danse de Pantin tout juste inaugurés, l’extension de la Collection Lambert en Avignon, l’extension du Centre d’Art contemporain de l’Île de Vassivière entre autres commandes publiques, de par leur volonté de repenser des espaces collectifs en modifiant leurs pratiques, mais aussi de nombreuses scénographies de théâtre, installations, œuvres et pièces sans-titre, en matière ou de lumière, du marbre à l’électricité, du bois pétrifié à l’impression HD, encadrées ou libres, dans la rue, sur un mur, éphémères ici, pérennes ailleurs…
Aucun territoire de classification n’est pertinent, mais tous leurs travaux se répondent, correspondent entre eux comme avec ceux de pairs ou de leurs influences. C’est ce qui est à l’œuvre dans ce cube haussmannien à larges fenêtres, parquet et moulures qui leur est proposé comme carte blanche par Private Choice.
Et c’est dans cette pièce que Laurent P. Berger a la gentillesse de recevoir memento pour présenter l’agencement d’œuvres qui organise l’espace. Le volume de cette pièce investie par les Berger&Berger paraît presque vide tandis qu’il abonde d’éléments en intelligence silencieuse.

 

memento : pouvez-vous présenter les objets en présence ?

Laurent P. Berger : Il y a un composite de pièces dont nous sommes auteurs en dialogue avec celles de décorateurs, de créateurs et designers français d’une certaine époque. Cette paire de fauteuils des 50’ est de Jacques Adnet. Leur dessin, l’assemblage des montants, leur production semi-industrielle et leur qualité de finition ne doivent pas faire oublier qu’elles répondaient à une commande publique. Cette table de Marcel Gascoin date des années 30, mais comme Adnet, comme Christian Adam (ce canapé bleu), comme Robert Mathieu (ce lampadaire) c’est un designer français de l’après-guerre qui a participé à la période de la « reconstruction » pour le grand public. Ces œuvres impliquent encore un savoir issu de l’artisanat. Tous ces éléments de design en présence relèvent d’une tradition de fabrication qui appelle à la conscience de l’objet.

memento : quel rapport faire entre ces pièces de design et vos travaux ?

LPB : arts, design, architecture et théâtre soulèvent les mêmes questions : celle des matériaux, celle du temps, celle de la fiction et de ses narrations. Ces questions se correspondent, et selon le contexte, l’usage, la destination, vont produire des réponses formellement différentes.

memento : est-ce le fil conducteur entre vos œuvres de scénographie et d’architecture, et la production de pièces d’art contemporain ? Car certaines auront une courte durée de vie tandis que d’autres sont destinées à durer ?

LPB : Il s’agit toujours d’invention d’espace, de forme et d’interaction entre volume et matériaux. Il y a une dimension d’expérimentation d’une œuvre à l’autre, des œuvres éphémères à celles qui durent, mais dans les deux sens.
Tous les champs s’irriguent dans la production d’une œuvre, c’est ce qui se passe dans cette pièce. Dans la lumière par exemple avec Jour électrique, ces tubes fluorescents allumés disposés en bandes parallèles devant les fenêtres : ils marquent une constance artificielle face aux variations de la lumière du jour, qui va elle-même modifier la perception de cette constance. Ce dispositif renvoie à d’autres travaux : la mise en scène de Mademoiselle Julie, avec Juliette Binoche [pièce d’August Strindberg mise en scène par Frédéric Fisbach au Shizuoka Performing Arts Center, au Japon, au théâtre de l’Odéon et au Barbican de Londres] où était déclinée une typologie de lumières à l’intérieur d’une boite blanche [le dispositif scénique], à l’intérieur duquel étaient disposés des objets dont la perception variait avec les luminosités – une sorte de grammaire contemporaine de tubes fluorescents. Cela fait aussi écho à une autre œuvre From the sun to the cloud, un plafond de lumière suspendu conçu pour une exposition au MUDAM (Musée d’art contemporain du Luxembourg).
Ces travaux avec la lumière rentrent en résonance avec ces cercles chromatiques (La couleur du ciel) au mur déclinant des teintes bleues. Ils s’inspirent d’un travail scientifique du suisse Horace-Bénédict de Saussure datant de 1784, qui cherchait un outil de mesure de la coloration du ciel à partir duquel il escomptait déduire des données scientifiques, probablement météorologiques.

memento : une sorte d’impressionnisme scientifique avec gradation scalaire ?

LPB : … qui met en relation les ressources et les matériaux, ça pose la question de l’emploi des éléments en présence pour l’obtention d’un résultat. Cette idée me fait mentionner un parquet que nous avons imaginé pour le Château de Vassivière, attenant au Centre d’art du même nom qui montre et collectionne des œuvres qui questionnent le paysage. (Le Centre d’art est un des trois seules productions architecturales d’Aldo Rossi en France), où nous avions produit un parquet imaginaire (réel mais non utilisable) à partir de souches immergées dont le bois a été réduit en poudre puis figé. C’était là aussi un travail de mise en rapport des matériaux en présence avec une finalité d’usage, à laquelle la matière résiste mais par sa friabilité.

memento : quelles seraient ici les correspondances avec vos autres productions en présence ?

LPB : La première correspondance est justement la présence active d’un élément extérieur qui influe aléatoirement l’œuvre par résistance ou participation. Par exemple ces dessins (La pesanteur du bleu de Prusse) sont le fruit de la rencontre du courant d’air dans notre atelier avec le pigment du bleu de Prusse, par un dispositif où l’artiste est en retrait mais crée les conditions de production d’une œuvre pourtant chaque fois différente. C’est le courant d’air qui dessine.
Mystère, ce tableau au mur, résulte d’une composition informatique  de couleurs et de grains pixélisés dont la quantité d’informations excède les capacités d’impression : ici l’élément extérieur est la limite technique de l’imprimante dont les déficiences participent de la production et composition visuelles de l’œuvre.
Et ces morceaux de verre soufflé réalisés dans les ateliers du CIAV (Centre international d’art verrier) à Meisenthal ont pour origine une forme provenant d’un moule déjà existant. Ce qui est préservé ici, se sont les parties des tirages qui ne sont pas destinées à la production finale, mais habituellement jetée. C’est comme l’envers d’un objet dont la forme aléatoire est due au souffle du souffleur de verre. Leur variation chromatique bleue décline la transformation de la couleur dans la matière. Tous les éléments en présence s’irriguent et s’informent. Ici le vent pourrait aussi relier ces verres aux dessins.
Enfin cette variation verrière renvoie aussi à un mode de production où l’intervention d’un savoir-faire donne de la présence à un objet, cela fait écho aux créations de mobilier dont nous avons parlé – et que nous avons sélectionnés avec notre ami antiquaire Julien Segard.
La seconde correspondance est la couleur bleue : ces cercles chromatiques bleus sont en écho avec le canapé de Christian Adam, avec le chromatisme des verres soufflés en dessous, avec les dessins au bleu de Prusse, et avec Mystère, impression photographique dont une des couleurs est un bleu et l’autre sa complémentaire.

memento : L’inauguration du réaménagement architectural des espaces publics du Centre National de la Danse de Pantin dont vous êtres les auteurs se tient demain, quelle considération portez-vous sur ces œuvres que l’on pourrait qualifier de minimalistes et ces grands travaux à portée collective ?

LPB : Ces champs s’irriguent. Nous voulons produire un rapport entre l’art et la commande publique. Il y a un moyen de générer une circulation entre ces deux pôles. Avec cette dimension évoquée de transfert d’expérimentation d’un champ à l’autre.

Par exemple, il y a ici une chaise que nous avons conçue pour les gardiens de musée de la collection Lambert en Avignon. C’est un objet qui s’efface, qui doit disparaître par rapport aux œuvres du musée tout en participant de l’identité du lieu. Il fallait une quantité de matière minime. On pourrait croire que la minceur de ces pièces de bois ne pourrait supporter aucun poids et qu’elle va se briser si l’on s’assoit dessus. Or le bois habille une structure métallique, cela a permis de réduire toutes les sections. Et cette chaise résulte d’un rapport d’échange entre ses éléments, métal et bois, par une structure triangulée qui stabilise les rapports de force. Nous avons la chance d’avoir des commanditaires et  des interlocuteurs qui comprennent l’intention, la logique et le rapport entre l’espace, l’usage et l’objet. Cette chaise manifeste le lien entre design, forme simple et commandes publiques.
C’est aussi le cas pour ces cinq pots en céramique qui ont la même forme mais sont graduellement de tailles différentes. Ce sont les pots du CNDP inauguré demain. Il y en aura cinquante en tout dans les espaces, avec cinquante plantes différentes, Ces cinq céramiques ont ceci de particulier qu’elles ont chacune la même quantité de matière, d’où la variation d’épaisseur et la fragilité seulement apparente du plus gros… cela représentait une complexité technique certaine, et pourtant elles seront présentes dans le cadre d’un lieu destiné à tous.
Les champs d’application et les objets sont multiples et éloignés pourtant nous avons une cohérence d’approche des sujets, qui pourrait être l’histoire par laquelle nous choisissons d’occuper un espace.

memento : et y a-t-il une division des tâches entre votre frère et vous ?

LPB : Non, Cyrille et moi partageons le même atelier, nous réfléchissons et travaillons ensemble.

memento : et il reste encore beaucoup de pièces à commenter… Un grand Merci!

 

diptyque est partenaire officiel de la FIAC et de Private Choice qui est officiellement intégrée à son programme.