Arts d’Edo

24.04.2017
Carte du Yoshiwara, 1846.

Carte du Yoshiwara, 1846.

Edo, le nom originel de Tokyo, nomme aussi une période historique. Son régime militaire et héréditaire établit une paix de fer : un ordre politique, social et moral sévère régente les activités de tous. Or, ironie, cette ère donne naissance à des raffinements contraires à ses règles.

En effet, n’est-il pas amusant de mettre en regard le premier commandement du bakufu (shogunat ou régime militaire) de Tokugawa Ieyasu,  qui commence en 1603, ouvrant l’ère dite d’Edo : « Négligez les plaisirs et consacrez-vous aux tâches ingrates », avec ce propos rédigé en 1665 par Asai Ryôki dans sa préface de l’ouvrage Ukiyo Monogatari (Contes du monde flottant) : « […] vivre uniquement le moment présent, se livrer tout entier à la contemplation de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier et de la feuille d’érable, des feuilles d’automne, aimer le vin, les femmes et les chansons, ne pas se laisser abattre par la pauvreté et ne pas la laisser transparaître sur son visage, mais dériver comme une calebasse sur la rivière, c’est ce qui s’appelle ukiyo. »

L’époque de Heian (794-1185), ère paisible dans son ensemble de l’Empire et sa cour, est l’âge classique des arts, particulièrement la poésie. Les temps suivants furent un déchirement de guerres féodales. L’ère d’Edo ramène la paix, d’abord en établissant son fief à Edo, loin de la capitale administrative, Kyoto, agitée d’intrigues. Bientôt, tous les daimyô du pays, ses grands feudataires, sont appelés à venir y résider une année sur deux, parfois y laissant leur famille en otage. Le pays s’isole du monde. A l’intérieur, les cartes sont prohibées et les routes, laissées en mauvais état pour gêner toute sédition, sont entravées de contrôles nécessitant leurs octrois. La hiérarchie sociale est l’ossature du régime. La noblesse vit luxueusement son allégeance ; les paysans et artisans, encouragés à la vertu et au labeur, sont durement taxés, maintenus dans l’indigence mais respectés. Les marchands sont une engeance méprisée mais nécessaire. Pis encore, les artistes, poètes, acteurs sont marginalisés parmi les classes sociales de basse condition. Enfin une très nombreuse population de guerriers se retrouve sans usage de son savoir belliqueux, au service d’une noblesse asservie. Les us sont fermement codifiés, les paroles surveillées, l’étiquette est cardinale et la censure florissante.

Mais cette bourgeoisie honnie s’enrichit des allées et venues en grande pompe de cette aristocratie domptée, et qui mène grand train à Edo, astreinte à des dépenses de représentation. Cette prospérité des commerçants appelle des divertissements, que seront les estampes et la naissance du théâtre Kabuki. Par ailleurs, les nombreux samouraïs à la règle d’honneur si haute (bushidô), dénués de rôle martial et qui représentent 8% de la population totale, et deux tiers de la ville d’Edo, sont tant bien que mal réorientés vers les arts traditionnels afin de tempérer leur puissance inusitée. Enfin, l’essor d’Edo y fait affluer une proportion considérable d’hommes seuls, travailleurs à qui des distractions s’imposent. Avec Edo naît son quartier des plaisirs, Yoshiwara, où vivent et se côtoient artistes, courtisanes et entremetteurs avec les classes aisées en mal d’images censurées. Là nait « l’ukiyo-e » (image du monde flottant) l’estampe populaire accompagnant d’abord des récits, à la facture narrative très éloignée de l’art de l’école Kanô qui réjouit la noblesse. C’est là qu’exerceraient ses grands maîtres Kitagawa Outamaro (1753-1806), Katsushika Hokusai (1760-1849), Utagawa Hiroshige) (1797-1858). Artistes et éditeurs souffrirent de la censure, surtout lorsque ces images flottantes mettait l’ancre dans celles du printemps.

C’est ainsi que ce régime  politique répressif vit la naissance en sa capitale, Edo, future Tokyo (1868), d’arts interdits chantant l’oisiveté voluptueuse, tandis que les trois arts traditionnels (la cérémonie du thé, le kôdô ou le kadô) se popularisaient lentement parmi sa bourgeoisie opulente s’appropriant les rituels aristocratiques.

 

diptyque ouvre une nouvelle boutique à Tokyo, dans le centre commercial Ginza Six.