« Arnulf Rainer » de Peter Kubelka

09.04.2018
Peter Kubelka, Arnulf Rainer, 1958-1960, 35mm, nb, son, 6:14min( Copyright Peter Kubelka)

Peter Kubelka, Arnulf Rainer, 1958-1960, 35mm, nb, son, 6:14min( Copyright Peter Kubelka)

Peter Kubelka, par Jonathan Pouthier

Arnulf Rainer, une extase vingt-quatre fois par seconde.

Figure tutélaire de l’histoire du cinéma, l’artiste autrichien Peter Kubelka a révolutionné le régime des images en mouvement par la précision de ses recherches plastiques et de sa méthode empruntant à l’arithmétique et à la musique sa logique de composition. Équivalant à une heure de projection, les huit films réalisés en 35mm et 16mm entre 1954 et 2012 qui constituent l’ensemble de ses réalisations sur supports argentiques restent à ce jour l’une des œuvres les plus radicales de l’art cinématographique au XXème siècle. En 1960, avec son film Arnulf Rainer, commandité par le peintre autrichien lui-même, Peter Kubelka formule alors l’expression la plus pure de son médium qu’il réduit à ses composantes élémentaires : lumière, obscurité, silence et bruit. Troisième et dernier opus du cycle de ses films dits « métriques » débuté avec Adebar (1956-1957) et Schwechater (1957-1958), Arnulf Rainer est réalisé sans caméra ni table de montage et ne recourt, contrairement aux deux précédentes expérimentations, à aucune image d’ordre figurative. Composé uniquement à partir d’amorces celluloïds 35mm noires et transparentes, et de deux bandes sonores, l’une saturée et l’autre vide, le film de Kubelka est structuré autour d’une partition consciencieusement déterminée à l’avance ; ce qui rend par conséquent, pour celui qui le souhaiterait, Arnulf Rainer reproductible à l’infini. Traduits en projections lumineuses, sonores ou silencieuses, les rapports harmoniques (rythme) et synchroniques (l’image et le son) de cet ensemble abstrait de 6 minutes et 14 secondes, produisent une expérience sensorielle totale à travers laquelle les effets de compressions et de décompressions sonores et visuelles viennent redoubler l’extrême sensualité d’une composition par définition rigide. Dans une alternance rythmée par les surgissements de lumière blanche (soit l’ensemble du spectre des couleurs existantes)  sur l’écran  brisant comme des éclairs, le temps d’un vingt-quatrième de seconde, l’obscurité de la salle de cinéma, et les ruptures saccadées d’une bande son oscillant entre la somme de toutes les fréquences sonores (un bruit blanc) et sa négation (le silence), Peter Kubelka édicte avec son œuvre les contours d’une forme de cinéma archaïque, libéré de sa vocation d’enregistrement du réel, une instance de pure projection d’ombres et de lumières, une expérience hors du temps : une extase vingt-quatre fois par seconde.

 

Jonathan Pouthier est responsable de la programmation du département des films au Musée national d’art moderne – Centre Pompidou.