Arlequin, par Joël Huthwohl

Quoiqu’originaire d’Italie, Arlequin serait né en France à la fin du XVIe siècle lors de la venue à la cour du roi Henri III d’une troupe de comédiens partie de Mantoue. Parmi eux, Tristano Martinelli, le premier Arlequin de l’histoire du théâtre. Emblème de la commedia dell’arte, aux côtés de Polichinelle, du Docteur et de Pantalon, il est aussi héritier des récits populaires du Moyen-Age et du personnage diabolique d’Hellequin. A l’époque, il porte un simple habit de mendiant rapiécé et semble surgir d’un bois, couvert de feuilles, hirsute et inquiétant. Un demi-masque de cuir noir lui cache le visage, avec deux petits trous seulement derrière lesquels passe un regard aux aguets et une grosseur sur le front qui ajoute à sa rudesse la monstruosité. Autant acrobate que comédien, agile, poltron, gourmand, grossier, il bondit sur scène comme un singe et lance ses lazzi au public avec une voix de perroquet.

Au fil des décennies Arlequin, tout en s’affirmant comme le type le plus célèbre du Théâtre de la foire, évolue et se civilise. Son costume prend la forme définitive d’un damier raffiné de losanges aux couleurs franches, il abandonne en grande partie le jeu improvisé pour des rôles et des répliques que lui écrivent les auteurs comme Goldoni ou Marivaux, avec par exemple Arlequin poli par l’amour. Eclipsé en France après le départ des Comédiens italiens, il revient en force après la Révolution. A la fin du XXe siècle, c’est à Giorgio Strehler que l’on doit la renaissance d’Arlequin avec le prodigieux succès de sa mise en scène d’Arlequin serviteur de deux maîtres.

Joël Huthwohl est historien du théâtre et directeur du département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France.