Arbres d’Atget

26.11.2015
"Parc de Saint-Cloud", Eugène Atget (1857-1927)

"Parc de Saint-Cloud", Eugène Atget (1857-1927)

Coin du parc de Saint-Cloud par Atget

Le photographe Eugène Atget (1857-1927) est célèbre pour ses images du vieux Paris : rues désertes, vitrines, petits métiers, détails d’architecture ancienne. On sait moins que cet artiste soucieux d’enregistrer méthodiquement les vestiges de la France d’avant 1789, a exploré aussi les grands parcs historiques autour de Paris : Versailles, Sceaux, Saint-Cloud. Il arpente ces jardins royaux pendant plus de vingt années y développant un goût des perspectives comme celles dessinées par Le Nôtre à Versailles. Il saisit aussi en plans rapprochés les statues, les grands vases usés par le temps qui ponctuent mélancoliquement l’espace. C’est à Saint-Cloud qu’il entreprend en 1921 une série intitulée “coins de parc” sur les arbres délaissés alors par les jardiniers. Il s’attache à des détails : racines tortueuses dessinant des figures mystérieuses et baroques, bases de troncs agrippant puissamment le sol jonché de feuilles. Il réalise aussi de véritables portraits d’arbres. Au lieu de les prendre d’assez loin pour fixer le déploiement de toute la couronne des branches, il s’approche de si près que le réseau végétal envahit entièrement le cadre en un entrelac presque hostile. L’arbre solitaire est comme les hôtels aristocratiques du Marais qu’Atget répertorie, le témoin muet d’un passé révolu.

Il a parmi sa clientèle de nombreux artistes et artisans à qui il fournit des documents, « études d’après nature” et “premiers plans” comme source d’inspiration pour leurs tableaux, leurs travaux décoratifs. L’œil exercé des Surréalistes a su découvrir dans ce répertoire qui se revendique comme simplement documentaire, le comble de la modernité, la photographie pure enfin débarrassée de pesantes références aux beaux-arts et enfin apte à rendre compte de “l’inquiétante étrangeté” du monde. La beauté forte et singulière de cette photographie que nous voyons aujourd’hui d’abord comme une œuvre et non plus comme une archive, est un exemple parfait de cette heureuse alchimie de l’histoire du goût qui a fait du modeste piéton de Paris, un des fondateurs de la photographie du XXe siècle.

Par Sylvie Aubenas, historienne de la photographie, Directrice du département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque Nationale de France.