Amour et Psyché

30.04.2018
Antonio Canova (1757-1822) - Psyché ranimée par le baiser de l'Amour (1787-1793), Musée du Louvre, Paris.

Antonio Canova (1757-1822) - Psyché ranimée par le baiser de l'Amour (1787-1793), Musée du Louvre, Paris.

Scellé dans le marbre par Canova, le baiser éternel de Cupidon à Psyché éclipse la violence d’un mythe où un père abandonne sa fille vertueuse à un monstre, un fils trahit sa mère, une femme parjure le serment fait à son aimé, puis fait mourir ses deux sœurs pour se venger de leur malice… En vérité, belle croisière que l’amour !

Les mythes grecs puis romains furent des chants de poètes glorifiés par des œuvres d’art picturales et sculpturales, honorés par des temples, qui relataient les origines historiques du monde et de l’humanité en instituant une croyance religieuse, avec ses prêtres, devins, cultes et lieux sacrés. Cet entrelacs infini de récits légendaires s’épandit sur plusieurs millénaires et en des contrées et cultures méditerranéennes différentes où chaque cité, chaque poète, les transposait, faisant varier les protagonistes, leurs filiations et même leurs destinées. Aussi la mythologie antique est-elle une narration en métamorphose.
Quelques deux mille ans plus tard, certains mythes furent transposés par la psychanalyse dans le psychisme de l’individu comme des représentations imagées des processus mentaux et affectifs qui agissent notre inconscient. La mythologie fut alors lue d’un nouveau regard, non plus seulement comme le terreau des humanités et de la culture classique, mais encore comme un miroir universel donnant à voir et comprendre les ombres de l’esprit humain qui tiennent son cœur dans les chaînes et rendent ses aspirations toujours susceptibles d’être les marionnettes mentales de désirs impurs. Le mot psychanalyse signifie littéralement l’analyse de la psyché, laquelle désigne l’âme ou ce souffle immatériel de vie distinct du corps lui-même ; incidemment psyché nomme aussi un miroir inclinable permettant de se contempler en pied, précisément tout comme devrait le permettre une fine et fidèle connaissance de son propre psychisme.

Aussi un mythe relatant l’amour de Cupidon – l’Eros romain, dieu de l’amour souvent confondu avec le désir lui-même (Himéros), mais avant cela dieu des affinités originelles sans qui aucune procréation, aucune existence, aucune vie n’aurait jamais pu sortir du Chaos premier – avec Psyché, ce souffle de vie qui anime les corps, ce mythe-là semble d’emblée le plus primordial. Or ses origines grecques semblent disparues. L’histoire connue de Cupidon et de Psyché est la version de la fin du IIe siècle d’un poète romain de Numidie (royaume berbère, aujourd’hui l’Algérie et des régions voisines), Apulée, dans son récit des Métamorphoses intitulé L’Âne d’or. Le conteur africain de l’Empire romain l’aurait relatée en y distillant ses influences berbères et orientales. Mieux vaut le lire qu’écourter son fil accidenté de rebondissements.
Quelques remarques sur sa trame : l’amour charnel serait d’ici-bas et l’âme descendrait d’un autre monde ? Point. Le contraire! Psyché est humaine et Cupidon est un dieu. Sa mère Aphrodite, déesse de l’amour et de la beauté, ravagée de jalousie envers cette innocente mortelle plus belle que le jour, demande à Cupidon de causer sa perte en la rendant amoureuse de la créature la plus vile, laide et méprisable qui soit. Mais celui même qui rend amoureux s’éprend de cette jeune fille qui n’a de divin que sa beauté. L’amour lui-même n’est pas immunisé contre son propre charme ! Les épreuves qui attendent Psyché sont innombrables. Elle sera condamnée, soustraite au monde, trahie, dupée, puis asservie et soumise à d’insurmontables épreuves faites pour la perdre à jamais et qui la conduiront par les enfers. Mais demeurant toujours candide et humble, elle ne cessera pourtant de recevoir des aides divines qui la sauveront de la mort et l’assisteront dans ses périls jusqu’à ce qu’elle accède au statut divin. Enfin son union sera officiellement célébrée en Olympe sur ordre de Jupiter et sous l’œil dorénavant conciliant d’Aphrodite elle-même. Née mortelle, elle devient déesse et épouse du dieu de l’Amour.

La complexité du mythe laisse perplexe. L’âme est humaine, d’abord. Seule sa beauté est telle qu’elle trouble l’ordre céleste. Elle n’atteindra au divin qu’au fil de difficultés faites pour l’en décourager. Tous ses soutiens naturels, et d’abord familiaux, peuvent s’avérer hostiles à son dessein d’éternité. Mais sa confiance en l’amour la préserve et lui vaut des secours miraculeux, tandis qu’elle demeure impuissante dans l’adversité et passive fasse aux injustices qui la frappent. Son couronnement et sa félicité ne lui seront accordés qu’après un désespoir et un découragement absolus. Mais son atout premier, sa beauté, reste menacé par son narcissisme : ainsi lorsqu’enfin munie du flacon de beauté de Perséphone qu’Aphrodite lui a ordonné de lui rapporter des enfers alors qu’elle la maintenait en esclavage, Psyché l’ouvre dans l’espoir que cette lotion lui recouvre l’amour de Cupidon. Punie pour ce fait, c’est là que ce dernier la ranime d’une de ses flèches, symbolisée par ce fameux baiser marmoréen de la sculpture d’Antonio Canova (1757-1822), exécuté entre 1787 et 1793, Psyché ranimée par le baiser de l’Amour.

Si l’histoire de Psyché visite ainsi memento, c’est grâce à Dimitri Rybaltchenko, qui, illustrant la nouvelle eau de parfum Fleur de Peau, a souhaité remonter le fil du psychédélisme auquel faisait référence ce parfum jusqu’au mythe originel ayant donné son nom à l’âme antique. Fleur de Peau est une eau de parfum à la gloire du musc. Avec Tempo, eau de Parfum qui  exalte le patchouli, Fleur de Peau fête le cinquantième anniversaire de la parfumerie diptyque, qui remonte à 1968… Faisant ainsi fi du « délisme », nous avons conservé la Psyché, dont le mythe relate le suprême voyage humain, sans savoir s’il mène ici ou au-delà : car peu après son mariage, Psyché donna le jour à une fille, Edoné, qui signifie volupté.